En 2009 déjà, la cour des comptes pointait que l’étude de moments clés des parcours des enfants laisse entrevoir qu’ils (les parcours) sont « fréquemment marqués par une succession de prises en charge émaillées de ruptures qui s’ajoutent aux séparations familiales initiales. Ces ruptures, qui traduisent à la fois les difficultés propres du jeune, l’épuisement des structures sollicitées et l’incapacité à trouver une nouvelle solution adaptée, sont lourdes de conséquences [1] ».
Ce rapport repère trois problématiques dépendantes du jeune, de l’institution et du modèle même de la PDE. Ces écueils fustigent fortement la capacité des structures et donc des professionnels à garantir pour ces jeunes un accompagnement stable et sécurisant. En définitive, la cour des comptes souligne la limite des réponses actuelles pour tendre vers de nouvelles solutions plus adaptées et en mesure d’assurer un suivi continu des enfants confiés à la PDE.
Il faut préciser que l’analyse de la cour des comptes ne prend pas en considération uniquement la situation des adolescents dits « difficiles » mais l’ensemble des situations relevant de la PDE. La problématique des ruptures de parcours n’est donc pas une spécificité de « l’incasable » et serait donc imputable à l’ensemble du public accueilli en protection de l’enfant. Le diagnostic malgré ses 143 pages, aborde le problème principalement sous l’angle structurel, préconisant l’éclaircissement ou l’amélioration des processus de coordination, de pilotage, et d’actions politiques. Mais alors que le jeune et les structures sont relégués au banc des accusés, il n’existe aucune quantification de ces « ruptures », nous laissant penser qu’elles sont fréquentes, autrement dit qu’elles en sont la quiddité de la PDE. Comment poser un tel diagnostic sans posséder à minima quelques données factuelles et statistiques mesurant le taux de ruptures, les motifs et aussi l’impact, c’est-à-dire les conséquences négatives ou positives sur le parcours de vie de l’enfant ? La cour des comptes reconnait justement ce manquement et invite à y remédier.
Plus récemment, en 2018, le CESE (conseil économique, social et environnemental) dans son avis titré « prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance », recommande une nouvelle fois « d’améliorer la connaissance statistique et développer la recherche en protection de l’enfance en renforçant les moyens de l’ONPE et des ODPE »[2]. Il en va d’une succession de recommandations, certes fortes intéressantes, mais ne s’appuyant toujours pas sur une instruction des motifs et effets des ruptures. Le seul constat alarmant rappelle que 30% des jeunes majeurs de la PDE se retrouvent sans domicile fixe à la fin de la prise en charge. Peut-on toutefois attribuer cette conséquence à l’explication par le simple motif des ruptures ? Ne peut-on pas envisager des facteurs corrélatifs, substitutifs ou complémentaires, tels que la résilience individuelle, la typologie du traumatisme, la disponibilité des ressources familiales, amicales et institutionnelles, ainsi que des processus d’empêchement comme la déscolarisation, ou les addictions ?
En attendant d’enrichir notre entendement sur les causes des ruptures, intéressons nous plutôt à la signification de la rupture. Si éviter les ruptures comme le propose les Etats Généraux du travail social, c’est « mettre fin à la logique des dispositifs pour renouer avec des démarches qui privilégient l’accompagnement global qui doit être pensé en termes de parcours de vie et non pas comme la somme des accompagnements spécifiques constitue un premier impératif [3] » ; alors peut-être que cette volonté est encore trop éloignée des réalités de terrain que nous venons d’entrevoir. Cependant, j’aime à croire que les dispositifs existants assurent déjà un accompagnement global de l’enfant. Les dispositifs sont-ils réellement la cause de ces ruptures de parcours ? A travers l’injonction des Etats Généraux, nous pouvons entendre que l’accompagnement global doit être pensé notamment par une meilleure coordination des acteurs pour éviter la segmentation de la prise en charge. La diversification et la coordination sont donc depuis plusieurs années les leitmotive du travail social. Pourtant, un parcours de vie ne se réduit pas à l’échelle de l’espace, car les processus d’accompagnement embrassent aussi l’échelle temporelle, pour constituer notre manière de penser, de raisonner, celle de l’espace-temps. Ainsi, le risque de devenir SDF pour les jeunes majeurs relevant de la PDE, ne peut se résumer à l’accumulation des ruptures antérieures dans des espaces déterminés, et doit aussi s’attacher à la rupture temporelle, celle dictée précisément par la fin de prise en charge définie par l’accès à la majorité ou dans le meilleur des cas, aux vingt-et-un ans révolus du jeune. Comme à ce jour, nous ne sommes pas en capacité d’éviter les ruptures de parcours, le risque de finir à la rue pour un tiers, voire un quart des enfants confiés à la PDE persiste et le bon sens devrait nous guider à assumer cette responsabilité en l’empêchant par la constitution de dispositifs (espaces) comme l’indique les Etats Généraux, ce, dans une perspective de parcours de vie (temporelle). Tout bien considéré, l’accompagnement éducatif, social, professionnel, psychologique, médical, ne peut prétendre au critère d’âge, mais doit s’en remettre à la mission protectrice vis-à-vis des risques et dangers auxquelles la personne est confrontée. Le rôle protecteur des acteurs de la PDE, ne peut cesser qu’une fois le risque écarté. Alors que les adultes en « situation de handicap » disposent de droits pour favoriser leur inclusion, pourquoi les adultes « en situation de danger » issus de la PDE, ne disposeraient-ils pas de droits spécifiques pour faciliter l’insertion professionnelle et sociale ?
Surement une simple question de volonté politique. Le secteur médico-social accepte les termes « handicap » ou « dépendance » pour caractériser la vulnérabilité situationnelle du public et peut ainsi les mettre en réflexion, alors que le secteur social peine à admettre les intitulés « risque » et « danger » pour se les approprier et les revendiquer. La PDE ne met pas au travail cette notion de risque et tente plutôt de résoudre la problématique des ruptures de parcours à travers principalement la diversification des dispositifs.
[1] Cour des comptes, « la protection de l’enfance », rapport public thématique, 2009, page 86
[2] Avis CESE, « prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance », 2018, page 17
[3] Etats généraux du travail social « métiers et complémentarités », rapport au Gouvernement, 18 février 2015, page 14
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