1.2  Les contours de l’approche cindynique

Devant la complexité des situations dangereuses ou à risques, une toute jeune discipline, les cindyniques, trouve son origine à la Sorbonne dans les années 1980. Etymologiquement, le terme « cindynique » est issu du mot grec Kindunos qui signifie le danger. Le mot est introduit en 1987 dans le dictionnaire Larousse. Initialement centrée sur l’étude des risques naturels et technologiques, cette science trouve désormais d’autres terrains d’applications. Le potentiel de développement des cindyniques amènent donc Georges-Yves Kerven qui en est l’inventeur, à élargir la définition à une « science visant à rendre intelligibles et donc prévisibles, les dangers, les risques qui en découlent, endogènes et exogènes au sein d’un système et de permettre de les réduire[1] ».

Encore confidentiels, les ouvrages se comptent sur les doigts de la main mais commencent à inspirer d’autres disciplines. Le sociologue Bastien Soulé se penche, lui, sur les accidents du sport comme problème de santé publique ; Jean-Marie Fessler aborde l’acte du soin aux dangers inhérents aux maladies ; Anne Fournier, agrégée d’histoire, Catherine Guitton et Michel Monroy, psychiatres des Hôpitaux, Georges-Yves Kerven, s’intéressent eux, aux processus de fabrication du danger sous ses différentes formes. En somme, ces chercheurs intègrent les cindyniques dans leur approche disciplinaire (psychologie, sociologie, médecine, sport). Une science qui peut être en mesure d’éclairer de façon plus pertinente cette notion du danger qui nous préoccupe dans le secteur de la PDE, mais plus amplement dans le secteur social et médico-social.

Pour Julie Soulier, « L’objectif majeur de la cindynique est d’identifier les risques, leur probabilité, afin de pouvoir les hiérarchiser et les prévenir »[2]. Même si cette approche s’inscrit aujourd’hui principalement et plus particulièrement dans les secteurs industriels, devant la complexité des situations dangereuses, elle s’est développée à partir du champ de l’intelligibilité de la complexité, notamment développée par E.Morin et J.L.Lemoigne, pour qui « la notion de complexité implique celle d’imprévisible possible, d’émergence possible du nouveau et du sens au sein du phénomène que l’on tient pour complexe [3]».

En effet, les cindyniques partent du postulat que l’imperceptible n’est pas indescriptible ; que la fatalité et le déterminisme intégrés dans les organisations les empêchent d’étudier les risques eux-mêmes alors qu’ils peuvent être réduits, pour peu que ces dernières en acceptent l’idée.  Les cindyniques vont s’intéresser plus particulièrement à la question de la menace par l’approche ontologique qui s’entrevoit à travers trois questions :

  • L’être de la source du danger : quelle est la source du danger ?

Repérer la situation qui est la source du danger est un préalable qui s’exerce par le repérage des « rhétoriques de légitimation, d’imputation, d’accusation, de disculpation, de consolidation qui sont à l’œuvre dans les différentes postures faces aux dangers [4]». Nous l’avons vu, ces travers nous conduisent souvent à rejeter la faute sur le professionnel, le jeune, l’institution, la société, et nous ferment à toute lecture situationnelle, source du danger. Alors que l’approche situationnelle s’exerce déjà dans nos secteurs, puisque la personne est en « situation » de handicap, de dépendance, de vulnérabilité, de précarité, de risque de danger, etc., elle n’est que très rarement utilisée pour penser le danger. Pourtant, la propension du danger, c’est-à-dire, sa capacité, sa potentialité à se matérialiser, dans une situation donnée, permet aux cindyniques de tenter une formalisation du couple vulnérabilité/résilience. La plupart des travailleurs sociaux et d’ailleurs moi-même, sommes adeptes des notions de vulnérabilité et de résilience. La science du danger ne les écarte nullement de la réflexion, bien au contraire, elle les intègre, elle les réunit, et même les associe. Il n’existe donc pas d’opposition entre vulnérabilité, résilience et danger, ce sont des dimensions qui se complètent naturellement.

  • L’être de la cible du danger : Quelle est la cible du danger ?

Identifier l’être individuel ou l’être collectif qui est la cible de la menace est une question déterminante parce qu’elle induit les réponses envisagées pour y faire face, pour la protéger. En PDE, l’être individuel, la personne, est facilement identifiable puisqu’il s’agit d’abord de l’enfant, de l’adolescent, ou du jeune adulte. Cependant, on ne peut réduire la cible à une unique personne, car nous avons vu et nous le développerons plus loin, que le danger peut se déplacer et par conséquent la cible se démultiplier. L’enfant n’est effectivement pas la seule cible menacée en autres par la cellule familiale, mais peut devenir à son tour la menace, à l’encontre notamment des travailleurs sociaux. Nous touchons ici d’une certaine manière, à l’institution, à l’être collectif, qui se caractérise selon les cindyniques, par ses valeurs, ses normes et ses finalités.

  • La nature du danger : Quelle est la nature du danger ?

Penser le danger, c’est aussi rechercher la nature du danger et non pas chercher la cause. Une approche descriptive qui postule que l’imperceptible n’est pas indescriptible. Un exercice auquel nous sommes moins habitués, celui d’entreprendre la description qui selon les cindyniques est une capacité chez l’homme bien plus exploitable que celle de la perception. L’effort d’explicitation de l’objet « danger » par la description et non la perception, ressert les écarts de représentations du danger. Même si la cindynique n’aborde pas le sujet, en arrière-plan, nous retrouvons une philosophie, celle de la phénoménologie dans une architecture triangulaire.


[1] Kerven Georges-Yves, Boulenger Philippe. Cindyniques, concepts et mode d’emploi. Economica, 2007 , p.1

[2] Soulié Julie. La cindynique : la science du danger au service de la gestion des risques. https://portail-ie.fr/analysis/1651/jdr-la-cindynique-la-science-du-danger-au-service-de-la-gestion-des-risques

[3] Lemoigne Jean-Louis.  La modélisation des systèmes complexes. Dunod, 1999, p. 3

[4] Kerven Georges-Yves, Boulenger Philippe. Cindynique et mode d’emploi.  Economica, 2007, p. 44