1.4  Des drames en protection de l’enfance

Dans l’affaire Marina, le décès en 2009 de cet enfant de huit ans sous les coups de ses parents malgré un signalement de justice, a médiatisé des dysfonctionnements de l’ASE et des établissements habilités. Le rapport GREVOT relève les raisons pour lesquelles la situation a échappé à la vigilance du dispositif de la protection de l’enfant. Il identifie en autres « la fragmentation des diverses interventions, au niveau institutionnel, combinée à l’enfermement de l’ensemble des acteurs dans leur propre logique institutionnelle et professionnelle [1]».

Ce constat critique une nouvelle fois les institutions et professionnels dans leur mission de protection et sera retenu comme le talon d’Achille auquel il faut remédier rapidement. D’autres rapports convergent en ce sens, tous pointent l’absence d’articulation entre les différentes instances et acteurs de la prévention et de la protection du secteur de l’enfance en danger. Face à ce drame, le dysfonctionnement systémique marque fondamentalement les esprits et naturellement la question de l’articulation prend son essor.

L’organisation même de la PDE est remise une nouvelle fois en question mais cette fois-ci pour revendiquer la nécessité de nouvelles modalités d’articulation et de coordination afin d’éviter les ruptures de prise en charge, mais surtout dans le cas présent, garantir la protection de l’enfant. Par contre, l’histoire ne retiendra guère que Marina « n’ait jamais été identifiée comme une enfant en danger ou en risque de danger au sens du code civil » et que l’évaluation de la situation a été une « sous-estimation de la notion de danger [2]» malgré les indices établis. L’irréfutable déficit systémique ne doit pas pour autant effacer la faiblesse évaluative du risque et du danger. Et dans ce cas précis, ce n’est pas réduire l’évaluation du danger à la simple erreur humaine, mais déterminer l’appréhension et l’analyse du risque effectuées par les professionnels. Aujourd’hui, ces notions de risque et de danger semblent refoulées du débat alors qu’elles sont au cœur des processus de prévention et de protection.

Cette brèche ne pourrait-elle pas s’immiscer également sur le regard que nous portons aux jeunes dits en  « situation d’incasabilité » à travers le prisme de la coordination et de la diversification des dispositifs autrement dit l’innovation, en oubliant celui de la dangerosité ?

Nous pouvons prendre pour illustrer, la problématique de la fugue des adolescents confiés aux services de la PDE. Ce problème récurrent qui ne trouve que peu de solutions est générateur de dangers. L’affaire concerne quatre mineurs qui au cours d’une fugue, dérobent une voiture et provoquent un accident de la circulation. L’un des jeunes passagers du véhicule volé est blessé lors de l’accident et se retourne contre l’association habilitée. La Cour de cassation estimera que le conducteur impliqué dans l’accident était placé au foyer par une ordonnance du juge des enfants, et par conséquent, qu’il résultait de l’association « la charge d’organiser, de diriger et de contrôler à titre permanent le mode de vie de ce mineur et devait répondre aux conséquences dommageables de ses actes » (2è civ. 7 mai 2003). Pierre Verdier et Fabienne Noé, docteurs en droit privé, décrypteront cette décision : « en l’état de la jurisprudence, on peut estimer que cette responsabilité dure tant que le juge n’a pas déchargé l’établissement ou service de sa mission d’organiser et de contrôler le mode de vie du mineur[3]». 

Les auteurs analysent également les dommages causés pendant le temps de présence effective, pendant les retours en famille, lors des stages ainsi que la responsabilité des parents dans le cadre d’un accueil provisoire. Il n’est pas question de remettre en cause le droit des victimes à demander réparation, mais de constater que les règles qu’il pose peuvent paraitre contradictoires avec la réalité de terrain des professionnels en charge des adolescents « en situation d’incasabilité ». Même si les parents conservent généralement l’autorité parentale lors d’une décision de justice, que le droit considère légitimement l’aménagement de la responsabilité civile dans ce cadre spécifique, la responsabilité des établissements face à la dangerosité de certains agissements n’intervient-elle pas dans une décision de mettre fin à l’accompagnement d’un adolescent ?


[1] GREVOT Alain, « Compte rendu de la mission confiée par le défenseur des droits et son adjointe défenseure des enfants à  Alain GREVOT sur l’histoire de Marina »,   2014,   page 9

[2] Ibid, page 5

[3] Pierre Verdier, Fabienne Noé, Responsabilité des parents, des établissements, du département,  et de l’Etat pour les dommages causés par les mineurs, page 11

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