2.2  Les limites de la coordination

Du sanitaire au médico-social, la définition, la notion, voire l’approche du parcours, celui de la santé, du soin, ou encore de vie ; celui de la personne, de la personne dépendante ou en situation de handicap apparait comme une nouvelle terminologie rendant possible de décrire les pratiques actuelles à l’égard des différents publics. L’ARS a établi un « lexique de A à Z[1] » dont quelques définitions suivantes sont issues :

Pour le ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, « un parcours se définit comme la prise en charge globale du patient et de l’usager dans un territoire donné, avec une meilleure attention portée à l’individu et à ses choix, nécessitant l’action coordonnée des acteurs de la prévention, du sanitaire, du médico-social et du social, et intégrant les facteurs déterminants de la santé que sont l’hygiène, le mode de vie, l’éducation, le milieu professionnel et l’environnement. »

Pour l’ARS, « Le parcours se définit comme le Continuum de l’accompagnement global des patients et usagers dans un territoire de santé donné, avec une attention particulière portée à l’individu et à ses choix. L’approche parcours, qui se caractérise à travers une approche par population ou par pathologie consiste, à partir de la perspective de la personne ou de l’usager ou des obstacles qu’il rencontre au long de son parcours, en la recherche de réponses aux besoins qui émergent au long de la vie avec un handicap ou une maladie chronique ».

ARS Bourgogne « Le parcours de vie intègre les parcours de soins et de santé. Il est une réponse aux besoins de la personne dans son environnement. Il intègre l’ensemble des acteurs de la sphère sociétale et notamment, les interactions avec l’éducation et l’emploi. C’est ainsi une prise en charge globale de l’usager, prenant en compte ses choix, en coordination avec l’ensemble des acteurs. »

La même source cite la notion au sens large de l’OMS comme « l’ensemble des évènements intervenant dans la vie d’une personne et les différentes périodes et transitions qu’elle connaît. Ces derniers affectent son bien-être physique, mental et social, sa capacité à prendre des décisions ou à maîtriser ses conditions de vie, ses interactions avec son entourage, sa participation à la vie sociale ».

Pour la CNSA la notion de parcours de vie « recouvre le cheminement individuel de chaque personne dans les différentes dimensions de sa vie : personnelle et relationnelle, professionnelle et sociale, familiale et citoyenne [2]».

Ces quelques définitions regroupées mettent l’accent sur quatre dimensions que nous pouvons synthétiser en fonction de ce qui relève de :

  • La prise en charge : considère les modalités de l’accompagnement au sens large du terme (global). Il implique une temporalité (cheminement, continuum, tout au long de la vie) et des espaces (territoire et environnement).
  • La personne : considère la place de l’usager en fonction des facteurs qui lui sont personnels (besoins et choix). Cela implique également des facteurs relevant des différentes étapes de la vie (événements, transitions)
  • Les acteurs : considèrent les professionnels (coordination, recherche de réponses aux besoins) et le réseau social (sphère sociale). Cela implique des interactions (entourage, éducation et emploi)
  • Des déterminants : considèrent les facteurs pris en compte tout au long du parcours. Ils relèvent d’une catégorisation (d’une population, d’une pathologie, d’une maladie, d’un handicap). Ils balayent les champs intrinsèques au parcours (santé, soins, vie personnelle, professionnelle, social, familiale et citoyenne).

Selon la définition, il est possible d’identifier plusieurs formes de parcours : de vie, de soin, de santé. La coordination semble l’instrument privilégié pour répondre au parcours des personnes et fait consensus auprès des professionnels. Ainsi, naturellement pour les « situations d’incasabilité », se dessine ce même objectif de coordonner les acteurs des différents secteurs, notamment le soin (troubles psychiques), le pénal (PJJ), le médico-social (troubles du comportement). Cependant, aucune de ces définitions ne laissent entrevoir ni les déterminants de risque, ni ceux de danger :

Mais alors, si l’évidence de la coordination comme vecteur du parcours du jeune fait consensus, pourquoi, à ce jour, la PDE ne s’en est-elle pas saisie ? Ou peut-être s’en est-elle saisie mais que son efficacité ne répond pas à la problématique des « incasables ».

Nous pouvons trouver un début de réponse dans un bilan de l’ARS datant de 2012, et énonçant :

  • « …quant à la création de structures de coordination est mitigé du fait de l’impression d’empilement de dispositifs […], l’impact du développement des dispositifs de coordination sur les parcours ne semble à ce jour pas démontré [1]».

Les raisons invoquées tournent autour de l’insuffisance de la coordination entre les multiples intervenants, du cloisonnement de l’accompagnement entre sanitaire et vie quotidienne, et de l’insuffisance de transversalité autour de la personne. La coordination se complexifie donc en même temps que les dispositifs, les acteurs se multiplient. Nous découvrons que trop de coordination tue la coordination, pire son efficacité n’est pas démontrable. Nous pouvons aussi l’interpréter à la manière de Léopold Kohr, économiste, que « les problèmes sociaux ont la tendance malheureuse à croître exponentiellement avec la taille de l’organisme qui les porte, tandis que la capacité des hommes à y faire face, si tant est qu’elle puisse augmenter, croît seulement linéairement. Ce qui veut dire que si une société dépasse sa taille optimale, les problèmes qu’elle rencontre doivent croître plus vite que les moyens humains qui seraient nécessaires pour les traiter ». (Thèse centrale de son ouvrage The Breakdown of Nations 1957).

Face à ces difficultés, le rapport opte pour une approche autre, ou du moins, complémentaire : celle d’une réflexion portant sur « l’analyse des parcours réalisée dans l’optique d’identification des points de rupture (ou point de criticité ou encore nœuds de fragilité)[2]». En définitive, la création de dispositifs ou modalités de coordination nécessite en premier lieu de mieux comprendre les phénomènes de rupture. La coordination trouve alors ses limites si les causes des ruptures ne sont pas préalablement cernées. Nous pouvons aussi supposer que la coordination est conçue aujourd’hui à travers des fonctions et des dispositifs, négligeant son caractère processuel. Et si la coordination est un processus comme je l’envisage, alors elle existe déjà fondamentalement dans les pratiques institutionnelles et professionnelles. Elle est comme tout processus, intrinsèque à la vie institutionnelle et n’éprouve pas le besoin de se matérialiser autrement, par des dispositifs et des fonctions, puisqu’elle est processus. Aussi, la coordination ne pouvant démontrer son efficacité telle qu’elle est produite à ce jour, ne serait-elle pas l’instrument d’une volonté plus ou moins affichée de désinstitutionalisation de l’action sociale et médico-sociale ?

Pour revenir à la notion de parcours au sein de la PDE qui vise notamment à en prévenir les ruptures.  Dans le champ de la protection de l’enfance, le parcours peut s’apparenter à « respecter les enfants usagers de l’assistance éducative en portant une attention particulière aux placements successifs, dont on connaît le caractère délétère sur les enfants. Ceux-ci ne devraient être envisagés qu’à titre exceptionnel[3]». Or, c’est bien là toute la problématique des adolescents en « situation complexe » qui sont déplacés d’une institution à une autre, d’un dispositif à un autre. La règle n’est pas exceptionnelle, elle s’affiche même comme l’une des caractéristiques majeures des passages à l’acte des jeunes. Le PPE (Projet Pour l’Enfant) doit justement venir éviter la discontinuité des parcours. 


[1] ARS. Etat de l’art relatif aux parcours de santé des personnes âgées. Rapport, 2012, p. 9

[2] Ibid p.17

[3] Brisset Claire. Rapport annuel du défenseur des enfants. 2004


[1] ARS. Parcours de soins, parcours de santé, parcours de vie, pour une prise en charge adaptée des patients et usagers. janvier 2016

[2] Caisse Nationale de Solidarité. Promouvoir la continuité des parcours de vie : d’une responsabilité collective à un engagement partagé. Rapport 2012, p. 33