2.     L’EMERGENCE DE LA NOTION DE PARCOURS

2.1  Le parcours une notion protéiforme

Toute récente au sein de la PDE, la notion de parcours s’affiche aussi succinctement. Aussi, il semble important de faire un tour d’horizon des politiques publiques qui se sont appropriées cette notion.

C’est avec la loi n° 2004-810 au 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, qu’apparaît la notion de « parcours de soins coordonnés » visant une maîtrise des dépenses de santé notamment par la mise en place du médecin traitant. Le patient est donc soit dans le parcours de soins, soit en dehors du parcours, la frontière délimite l’incidence financière pour le bénéficiaire. Mais cette notion se lit en creux puisqu’elle n’apparait pas dans les textes de loi, contrastant avec la redondance du terme « coordination » qui apparait lui, treize fois. La notion est inscrite cinq ans plus tard, en 2009, dans le décret n° 2009-152 précisant l’éventualité du non remboursement « en cas de non-respect du parcours de soin [1]». Le parcours est donc né pour astreindre les patients à respecter les modalités de consultation, en priorité du médecin traitant, avec pour objectif la rationalisation des coûts. Le parcours, dans ce cas de figure, est borné tel un chemin à suivre, et devient une contrainte.

La loi HPST utilise aussi la notion à trois reprises : « dans le cadre du parcours de soins du patient » ; « L’éducation thérapeutique s’inscrit dans le parcours de soins du patient » ; « termes de distance et de temps de parcours »[2]. Ici, la notion de parcours est fortement liée à la question des modalités d’accompagnement sur ledit territoire.

La loi du 11 février 2005[3] consent aussi à représenter cette notion de parcours. Focalisée sur le principe de l’inclusion scolaire, elle est également corrélée à la notion de droit et de besoins déjà abordée :

  • Art. L. 112-2 code de l’éducation – « Afin que lui soit assuré un parcours de formation adapté, chaque enfant, adolescent ou adulte handicapé a droit à une évaluation de ses compétences, de ses besoins et des mesures mises en œuvre dans le cadre de ce parcours, selon une périodicité adaptée à sa situation…il est proposé à chaque enfant, adolescent ou adulte handicapé, ainsi qu’à sa famille, un parcours de formation qui fait l’objet d’un projet personnalisé de scolarisation assorti des ajustements nécessaires en favorisant, chaque fois que possible, la formation en milieu scolaire ordinaire ».

La loi n°2016-41du 26 janvier 2016 de modernisation du système de santé, qui dans son titre liminaire précise vouloir « rassembler les acteurs de la santé autour d’une stratégie partagée », aborde le parcours sous l’angle des risques de rupture :

  • Art. L.114-1-1 du CASF – « Un plan d’accompagnement global est élaboré sur proposition de l’équipe pluridisciplinaire avec l’accord préalable de la personne concernée ou de son représentant légal (…). En cas de complexité de la réponse à apporter, ou de risque ou de constat de rupture du parcours de la personne ».

La logique ne tourne pas autour de « la situation complexe », second qualificatif des « adolescents incasables », mais repose sur « la réponse complexe » en direction du public. Ce décentrage nous invite à interroger non plus le sujet mais la capacité des dispositifs et des acteurs de la PDE, à proposer des réponses complexes en direction la situation dite « d’incasabilité ».

En 2014, le rapport Piveteau titre « Zéro sans solution : Le devoir collectif de permettre un parcours de vie sans rupture, pour les personnes en situation de handicap et pour leurs proches » met en avant les défauts d’anticipation et de réponses adaptées. Remédier au manque de places, et à l’absence d’accompagnements pouvant produire des ruptures de parcours, n’est pas seulement un droit dans l’unique l’intérêt de la personne mais se mue en un devoir collectif. De plus, la notion ici, de « parcours de vie », porte une dimension globale débordant des seules limites du parcours institutionnel. 

D’autres secteurs vont intégrer la notion de parcours, celui des personnes âgées[4] :

  • Art. L. 313-11-1 du CASF : « (…) l’optimisation des parcours de soins des personnes âgées »
  • Art. L. 232-21-2 du CASF : « Des informations individuelles relatives aux personnes concernées par les décisions d’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie et de l’aide sociale à l’hébergement, à l’évaluation de leurs besoins et à l’instruction des demandes sont transmises au ministre chargé des personnes âgées, dans des conditions prévues par décret, à des fins de constitution d’échantillons statistiquement représentatifs en vue de l’étude des situations et des parcours des personnes figurant dans ces échantillons ».

Le parcours, dans ce cas, de figure est étudié sur le plan statistique. Il se dote d’une base de données pour permettre une meilleure compréhension des parcours et des situations.

A la frontière du secteur sanitaire et médico-social, la notion de parcours est aussi imbriquée dans le plan santé Alzheimer. Celui-ci prévoit « de construire un véritable parcours de prise en charge et d’accompagnement en se plaçant du point de vue de la personne malade et de sa famille, afin d’organiser le système autour de leurs besoins [5]». Le parcours prend forme par la réponse aux besoins de la personne, à charge aux acteurs de s’organiser. Plus largement, le système se modélise autour du patient et non l’inverse.  

Pour finir, la loi du 13 avril 2016[6] concernant la prostitution, parle de parcours de sortie :

  • Art. L. 121-9 : « Un parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle est proposé à toute personne victime de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle. Il est défini en fonction de l’évaluation de ses besoins sanitaires, professionnels et sociaux, afin de lui permettre d’accéder à des alternatives à la prostitution. Il est élaboré et mis en œuvre, en accord avec la personne accompagnée ».

L’instance mentionnée au second alinéa du I du présent article assure le suivi du parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle. « Elle veille à ce que la sécurité de la personne accompagnée… ». Cet exemple montre une autre vision du parcours, en sus des besoins, il devient objet de dangerosité. Il s’agit bien, là, de sortir la personne d’un parcours dangereux pour l’amener à l’insertion sociale et professionnelle.

Transposé aux « situations d’incasabilité », n’est- il est possible d’envisager le parcours sous cet angle du danger ? Ainsi, éviter les ruptures, les discontinuités des parcours ne revient-il pas à mettre en place des réponses face à ces dangers ? Les objectifs de « stabiliser ou sécuriser » les parcours de ces adolescents, ne serait-il pas ceux de les écarter d’un parcours à risque ?

Dès lors, nous constatons que la notion de parcours est protéiforme et évolutive avec le temps et le secteur. Cette notion est conviée à décloisonner, à éviter les ruptures et/ou inégalités, à optimiser et/ou réguler et à dépasser les obstacles. Autrement dit, le parcours semble établir un modèle affichant une volonté de structurer les politiques publiques. A moins que les politiques publiques utilisent le parcours comme paradigme pour structurer l’action sociale et médico-sociale à des fins de rationalisation des coûts. Chacun se forgera sa propre opinion.

En tout état de cause, le parcours s’affirme comme une personnalisation des réponses aux besoins de la personne et la réaffirmation de leurs droits, au sens précisé dans la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Notons toutefois que l’article L.311-3 du CASF issu de cette même loi détermine que :

  • « L’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés (…) sous réserve des pouvoirs reconnus à l’autorité judiciaire et des nécessités liées à la protection des mineurs en danger, le libre choix entre les prestations adaptées qui lui sont offertes soit dans le cadre d’un service à son domicile, soit dans le cadre d’une admission au sein d’un établissement spécialisé ».

La réserve ou plutôt l’exception de la protection des mineurs en danger n’a pas échappé au législateur, puisqu’à l’origine pour une majorité des situations, le parcours s’enclenche par l’action judiciaire. Nous ne relevons cependant que très rarement le propos de « parcours judiciaire » de l’enfant écartant cette spécificité inaliénable et distinctive à notre secteur. La PDE ne pouvant se réduire à la norme judiciaire, puisqu’elle inclut également des mesures administratives, elle a néanmoins la mission de garantir un « parcours de protection ».

Au final, le parcours s’entrevoit comme une modalité d’organisation et de coordination. Il s’affirme aussi comme philosophie de l’intervention, avec une finalité d’inclusion, par exemple, et créé des instances (pilotage) et outils (statistiques) pour renforcer le passage d’un dispositif à un autre. Aussi, un décret établit « une nomenclature simplifiée des établissements et services sociaux et médico-sociaux accompagnant des personnes handicapées ou malades chroniques. Il vise à faciliter l’individualisation des parcours et la programmation de la réponse aux besoins collectifs, parallèlement au développement des coopérations entre établissements et services et dans le cadre des conditions minimales d’organisation et de fonctionnement dont ils relèvent[7] ». Encadrée par les politiques sociales, la notion de parcours vient donc impacter le fonctionnement des organisations et les pratiques professionnelles. Cela se concrétise à travers différentes définitions. Pour J.R Loubat, cette logique de notion de parcours et de projet de vie rend caduque la logique institutionnelle d’établissements traditionnels ou au sein « d’un environnement rendu infiniment plus complexe, elles plaident pour une nécessaire coordination entre divers partenaires et la constitution de dispositifs souples et adaptatifs- des plates-formes de services[8]». Une évidence à en croire l’engouement pour la coordination et pour les plateformes de service. En définitive, ces nouvelles perspectives ne pourraient-elles pas tout aussi bien devenir des réponses de plus à épuiser ? En quoi ces deux modalités (coordination et organisation) peuvent apporter une réponse aux comportements à risque de ces adolescents qui ont déjà épuisés toutes les solutions existantes ?


[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020243708&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id

[2] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, « portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires », articles  36, 69 et 84

[3] Loi n°2005-102 du 11 février 2005, « pour l’égalité des droit et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées

[4] Loi n°2015-1776 du 28 décembre 2015 « relative à l’adaptation de la société au vieillissement »

[5] Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012, 2008, p. 19

[6] Loi n°2016-444 du 13 avril 2016, « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées »

[7] Décret n° 2017-982 du 9 mai 2017 relatif à la nomenclature des établissements et services sociaux et médico-sociaux accompagnant des personnes handicapées ou malades chroniques

[8] Loubat Jean-René. Parcours et projets de vie : vers une reconfiguration de l’action médico-sociale. Les Cahiers de l’Actif n°446-447, août 2013, p. 8