La protection de l’enfant est placée sous la responsabilité du Président du Conseil Départemental et se confronte ainsi à la question de la structuration de l’offre de services sur chacun des territoires. A ce propos, dans son rapport annuel le défenseur affirme que « si la protection de l’enfance est une compétence décentralisée à l’échelon départemental, il n’en demeure pas moins qu’elle doit rester une préoccupation essentielle de l’Etat qui doit donner son impulsion et les moyens nécessaires à sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire[1] ».
Ainsi, chaque département est libre de définir sa propre stratégie d’accompagnement en fonction des services qu’il habilite et autorise.
Ce même rapport, dans l’éditorial coécrit par M. Toubon, défenseur des droits et son adjointe Mme Avenard, défenseure des enfants souligne un « déséquilibre entre les droits consacrés par les textes législatifs et réglementaires ou les plans d’action nationaux, et les droits réalisés de manière effective pour tout un chacun [2]». En 2016, la protection de l’enfance reste le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de défense des droits de l’enfant et « les réclamations reçues alertent, de manière extrêmement préoccupante, sur l’insuffisance des moyens dédiés à la protection de l’enfance, depuis la prévention jusqu’à la prise en charge des jeunes majeurs »[3] épinglant : la réduction drastique des moyens alloués par les départements à la prévention spécialisée ; la non-exécution des décisions judiciaires de placement faute de place ; l’insuffisance dans le déploiement des PPE ; les défaillances de la prise en charge des MNA ; le manque de solutions de soins, psychiatriques et médico-psychologiques pour les enfants et adolescents confiés à l’ASE ; l’engorgement des lieux de rencontre enfants-parents. Le désengagement de l’état ainsi que les décisions au niveau départemental, sont bien pointés du doigt. Il existe donc un faussé entre les lois constituées au niveau national et leurs applications au niveau local.
Le rôle du schéma départemental est de fixer ces grandes orientations, or dans le département où j’exerce, il est en attente d’actualisation depuis 2013. Le département met en place, seulement depuis cette année, des commissions de travail pour actualiser ce nouveau « schéma des solidarités ». Le thème II intitulé « faciliter le parcours de l’usager et la coordination » mis au travail lors d’un atelier précise que le « parcours de la personne recouvre le cheminement individuel de chaque personne dans les différentes dimensions de sa vie personnelle et relationnelle, professionnelle et sociale, familiale et citoyenne. La clé d’entrée pertinente n’est plus l’offre et ses différentes catégories, ou les frontières entre territoires institutionnels, mais l’usager, ses besoins et attentes, le partage d’objectifs communs au service de la personne ». Il n’est point nécessaire de souligner à nouveau la question des objectifs communs, entre un décideur, un tarificateur, un opérateur, un usager et ses représentants légaux.
Les attendus de schéma reposent principalement sur les outils communs d’évaluation, un « référentiel médico-social pour identifier les besoins individuels ». Plus précisément dans notre secteur, le schéma s’oriente vers une diversification des offres d’accueil et d’accompagnement précisant que « pour un certain nombre de situations, les établissements sont amenés à accueillir en internat des enfants et adolescents avec des profils complexes (intolérance à la frustration, comportements violents, actes de délits…). Ces structures sont en difficultés pour proposer une prise en charge qui soit adaptée. ». Aussi, la thématique s’attache à répondre, pour garantir un parcours qualifié de « fluide », aux questions suivantes :
- Quelle prise en charge des enfants et adolescents avec des profils complexes ? quels besoins ? pour quels profils ? quelles approches et solutions ?
Ici, seuls les établissements sont cités dans la prise en compte des besoins de ces adolescents, sans considérer l’ensemble des acteurs du réseau. En effet, le parcours de protection ne peut pas seulement reposer sur un unique dispositif car cela implique une multitude d’acteurs (médical, scolaire, justice, institution, parents…). Pour ne citer que les organes de décisions, le processus à l’œuvre engage de manière simplifiée, le magistrat, l’ASE, et le service habilité :
Le plus souvent, le magistrat en charge de l’affaire ordonne la mesure de placement ainsi que le type de dispositif : MECS, placement à domicile, AEMO, Accueil de jour…etc. Cette modalité reste très contraignante dans le cadre d’un parcours puisqu’elle enferme l’adolescent dans un dispositif précis. Ces mêmes services sont aussi autorisés selon des critères définis :
- Le type de mesure : administrative, judiciaire civile ou pénale
- Le type d’accompagnement : milieu ouvert, action éducative à domicile (AED)
- Le type de placement (de jour, placement d’urgence, placement à domicile, placement en foyer, en famille d’accueil…)
- La tranche d’âge et nombre de places (bas âge, enfants, adolescents, jeunes adultes)
Nous voyons bien que le modèle de la PDE repose sur des processus et des dispositifs qui ne laissent guère de place ni à la souplesse ni à la fluidité du parcours. Concernant les situations complexes, Flore Capelier y voit « le comportement de l’enfant qui est mis en avant pour justifier la rupture de prise en charge, y compris lorsque la discontinuité du parcours de l’enfant s’explique surtout par des logiques d’organisation et de fonctionnement de service [4]». La question de la rigidité de l’organisation peut aussi être soulevée pour les « incasables ».
Pour comparaison, dans le champ du handicap, la logique de parcours de l’enfant ainsi que la primauté donnée au milieu ordinaire sont centrales et réaffirmées par la loi 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et citoyenneté des personnes handicapées. L’orientation est prononcée par une commission compétente au sein de la MDPH qui peut décider d’une orientation Dispositif Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. « Ce dispositif permet ainsi à des enfants, adolescents et jeunes adultes âgés de 6 à 18 ans disposant d’une notification DITEP délivrée par la MDPH, de bénéficier de différentes modalités d’accompagnements allant du SESSAD (suivi en ambulatoire) à un accueil à temps plein de semaine sur l’un des services de l’établissement en fonction de son âge. Le dispositif permet également de proposer des soirées d’hébergement en internat de semaine à certains jeunes et ce, en fonction des orientations de leur projet personnalisé construit avec le jeune et ses parents[5] ».
L’article 91 de la loi de modernisation de notre système de santé, publiée le 26 janvier 2016 et ratifiée par décret le 24 avril 2017 rend possible une généralisation progressive de ce fonctionnement en dispositif intégré. L’articulation possible entre les différentes modalités d’accompagnement proposées à l’ITEP et au SESSAD assure une plus grande modularité dans les accompagnements proposés. Celle-ci apporte une souplesse dans les propositions éducatives, chaque enfant peut ainsi bénéficier de temps d’accompagnement différenciés, mobilisables en fonction de sa situation et ainsi être accompagné sur des activités ponctuelles, en milieu ordinaire, du semi-internat ou de l’internat.
Ce fonctionnement en dispositif apparait être une modalité intéressante dans la mise en œuvre de la logique de parcours. Il offre la possibilité de faire évoluer l’accompagnement dans des délais très courts, une flexibilité qui permet les réajustements des axes de travail développés auprès de l’enfant et de sa famille, en contexte. En sortant d’une catégorisation stricte, les différents services œuvrent ainsi, à leur niveau, au déploiement d’une visée inclusive. Malgré tout, ce modèle ne semble pas pouvoir prendre corps au sein de la PDE, dont la visée reste d’abord la protection du mineur. La logique de place perdure et de ce fait, interroge sur le modèle même de la PDE. Sans vouloir abattre ce modèle d’une grande complexité, il n’en ressort pas moins que certains fonctionnements et certaines organisations impactent le parcours de l’adolescent. Encore faut-il pouvoir les repérer et surtout les travailler avec des acteurs dont les missions et les responsabilités ne sont pas les mêmes.
Ce clivage par autorisation, par responsabilité, par spécificité des services, isole les professionnels et nuit au parcours du jeune. La coordination de l’accompagnement du jeune se voit restreinte par un modèle d’habilitation, d’autorisation, de place, sans évoquer la problématique des prix de journée et des financements découpés. La difficulté organisationnelle de la PDE n’est que rarement évoquée dans les phénomènes pouvant conduire aux ruptures, laissant la seule responsabilité aux services en charge d’accompagner ces adolescents. Mais est-il véritablement possible de transformer ce modèle qui repose d’abord sur une contrainte, le plus souvent la forme d’un placement ? Certains s’y sont employés par la création de nouveaux dispositifs.
[1] Rapport annuel. Droits de l’enfant en 2017 : Au miroir de la convention internationale des droits de l’enfant. 2017, p. 29
[2] Ibid, p. 4
[3] Ibid, p. 29
[4] Capelier Flore. La protection de l’enfance, du droit aux pratiques. ASH, n°3003, 2017, p.31
[5] EDEFS : http://www.edefs35.fr/ditep/presentation-du-dispositif.html