3.2 Les freins à l’innovation

En toute logique, ces recherches ont mené à explorer le champ de l’innovation. Le chemin a été relativement chaotique, aussi cette partie restera volontairement succincte. J’ai contacté un « refuge pour incasable », structure expérimentale née en 2010. S’appuyant sur le courant de pensée de Palo Alto, l’intervention repose sur « les bases d’une approche systémique et interactionniste des phénomènes humains [1]». Cette volonté de privilégier l’interaction avec les jeunes plutôt que de rechercher les causes à leurs problèmes, n’a pas tenu ses promesses. L’échange téléphonique avec la direction de cet établissement met en avant une transformation de la pédagogie « Altovienne » par les professionnels. En effet, les changements de personnel ont conduit à une perte de sens commun de cette méthode. Chacun s’étant approprié à sa manière, les valeurs, les règles qui en découlent, leur application s’est vue contrariée et diluée.

Autre expérience, celle citée par D. Granval raconte l’histoire du service « Entracte, un internat sans mur » de l’établissement que j’ai d’ailleurs dirigé… Il me rappelle que ce service maintenant fermé était issu d’une réflexion de l’équipe éducative pour « trouver une réponse pour les jeunes qu’ils appellent les inclassables, qui ne vont pas en classe et ceux qu’ils appellent les inséparables, des jeunes qui refusent la rupture et qui s’opposent au moindre éloignement avec leur famille[2] ». En autres, le projet de service ne répondait pas aux attentes du département et le service s’est vu fermé. Nous sommes face à des objectifs divergents entre deux acteurs de la PDE.

Jusque dans les années 1980, les modalités d’accompagnement sont cadenassées entre l’intervention à partir du domicile (AED ou AEMO) et l’intervention par la séparation (placement). Ainsi, le « placement à domicile », mixte des deux, initié dans les années 1990, ne se voit légalisé qu’en 2007. En effet, la législation confirme, assouplit et crée de nouveaux modes d’accompagnement (placement à domicile, accueil de jour, séquentiel). Néanmoins la thèse de P. Breugnot explicite que « l’innovation déstabilise car elle remet en cause les habitudes, les routines. L’innovation socio-éducative combine un processus « expérimental » et un processus « transférentiel » qui permettent de sortir des pratiques habituelles et de construire d’autres modalités d’intervention. Les valeurs de chaque professionnel se transforment ainsi au contact de celles des autres ; « ce processus d’apprentissage culturel fondamental ne peut s’opérer que dans un lent et tenace va-et-vient entre positions différentes[3]». L’analogie avec l’aperçu ci-devant du dispositif Palo Alto s’opère sur la question des valeurs, non seulement professionnelles mais également institutionnelles. De plus, ces innovations, quelles que soient leurs formes, prennent-elles en compte l’aspect contraignant de la mesure, dans le cadre d’un parcours au sein de la PDE ? Notre secteur depuis des siècles avance et fait preuve d’une grande créativité, développant des dispositifs innovants pour ne citer que l’AEMO renforcée ou Hébergement, les placements à domicile, les SASEP, et cependant ils n’ont jamais pu enrayer la problématique des ruptures de parcours des situations « d’incasabilité ». La DREES fait état en 2017 que « près de sept actions éducatives sur dix sont décidées par le juge des enfants ». La décision de mesures administratives ou judiciaires, dépend considérablement du degré de dangerosité. Nous pouvons en déduire le caractère dangereux de la majorité des situations confiées à la PDE mais aussi de ce fait de la contrainte imposée par les autorités. En précisant que les mesures administratives ne sont exemptes de toute contrainte, puisqu’elles peuvent se transformer en décision judiciaires si les représentants légaux refuseraient une telle mesure. Le parcours de l’enfant n’est donc pas choisi mais contraint.


[1] Picard Dominique, Edmond Marc. L’école de Palo Alto. Puf. Que sais-je ? 2013,p.3

[2] Granval Daniel. Adolescents difficiles, établissements et aide sociale : comment améliorer ? L’Harmattan, 2002, p. 245

[3] Breugnot Pascale. Les innovations socio-éducatives. Presses Ehesp, 2011, p.30