3.5  Crises : les circonstances

Isabelle dit qu’ « Honnêtement, je ne sais pas. C’est fou, vous savez, des fois le cerveau fait stop et il y a des choses, des événements importants dont on ne se souvient plus du tout. […] quand c’était comme ça, je cassais tout, j’étais une furie. A ce moment-là, je me souviens des sentiments que j’avais quand je pouvais rentrer en crise. Je ne ressentais plus rien, ni colère, ni haine, ni amour, ni rien du tout. J’étais vraiment une coquille vide. Mais, par contre, la violence, je me déchainais. […] dans ces moments-là, j’étais quelqu’un qui provoquait tout le temps, tout le temps, tout le temps ! C’est sûr qu’il ne fallait pas me répondre dans la provocation non plus !».

Béatrice déclare : « les gens voient simplement le moment où on devient agressif, ou on insulte, il faut de suite être ferme ou appeler la police ou à la rigueur, on s’en fiche. Alors que pas du tout. C’est à ce moment-là qu’on a besoin de parler, c’est une façon de parler en fait et de dire des choses […] Ils sont complètement choqués déjà parce que forcément, faut être honnête, les éducateurs, ils ne sont pas aussi préparés à ça, genre quand vous faites vos cours, on vous dit qu’il y a de la violence mais entre le dire et le voir, c’est différent. Donc oui, j’ai vu des scènes où c’était des gamins qui étaient en train de péter un plomb et qu’on appelle de suite ou la police ou les pompiers, alors qu’à ce moment-là, il ne va pas bien. Il faut lui parler, le calmer, le raisonner, aller faire un tour, sortir…Je ne sais pas trouver le petit truc qui va faire et si vraiment ça va pas, appeler. Et en plus, quand le gamin a besoin de parler et qu’en plus, vous lui appelez la police…c’est encore pire, quoi c’est la goutte qui fait déborder le vase. Et il sait ce qu’il veut le gamin à ce moment-là, mais… »

Pour Bernard, c’est « l’autorité, elle (sa sœur) me demandait de rentrer à telle heure, de ranger-ci, ranger-ça. L’autorité d’une femme avant c’était compliqué, que ce soit à l’école, à la maison, partout, l’autorité ce n’est pas possible […] Trop d’émotions, je ne pouvais pas dire les mots que je voulais. Je faisais juste mal ».

Pascal explique à propos de ses fugues « qu’ils (les éducateurs) m’ont dit, t’es vraiment fort, on ne se fait pas de souci pour toi. Je me souviens d’un éducateur qui m’a dit, je te félicite, on te retrouve propre, tu as des habits propres, tu es lavé, on ne sait pas comment tu as fait. Quand ils sont arrivés, je ne leur ai pas demandé ouais j’ai faim, vous savez les mecs qui sont assez prétentieux, je suis mineur, vous êtes obligés de me donner à bouffer […] Depuis ma tendre enfance, mon père m’a toujours appris qu’on devait se démerder seul […] Au contraire faire la morale ça s’empirait ».

Françoise : « Oui, je pense que ça aurait pu être évité, après, c’est tout le contexte et tout ça qui met beaucoup de pression et de colère aussi […] c’est le fait de ne pas être avec mes parents mais en même temps, quand j’y allais, ça se passait mal. C’est hyper frustrant ».

Il n’est pas surprenant de relever qu’en cas de crise, policiers comme pompiers sont sollicités pour leurs capacités à réagir à une situation donnée. Il ne semble pas judicieux de réduire certaines situations de crise, à une simple crise d’autorité qui amène les policiers à intervenir, même si le symbole est fort.

  • Sur le plan cindynique, « la crise est une situation non ordinaire, dont la soudaineté, la gravité, l’intensité, la complexité ou les conséquences présentent un risque de désorganisation des réseaux[1] ». C’est donc l’incapacité de l’organisation à gérer ces situations. De par ces témoignages, nous pouvons en déduire un déficit culturel lié à l’absence de « communication » mais aussi un déficit managérial marqué par l’absence d’un système de retour d’expérience en aval, comme de préparation aux situations de crise, en amont.

L’approche cindynique consiste à réduire les facteurs « crisogènes » par le repérage des signaux annonciateurs et par l’identification de la fragilité des réseaux, ou encore la recherche des dissonances dans le traitement des situations.


[1] Kerven G.Y, Boulenger P, op .cit, p.55