3.6  Crises : les besoins repérés

Isabelle  témoigne : « face aux professionnels, tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas comprendre. En gros, les professionnels disent : oui, je comprends… Non ! Tu ne peux pas comprendre, tu ne l’as pas vécu ! Et ça, c’est des choses en tous cas, adolescente, pour moi et d’autres gamins, que je pouvais côtoyer. C’était ça. Il croit tout savoir parce qu’il travaille là-dedans, parce qu’il est éducateur… non, il ne sait pas. Peut-être plus, faire plus d’interventions avec des jeunes comme moi, qui ont fait des séjours de rupture, qui sont revenus et qui ont une vie maintenant. Faire plus de rencontres, moi, ce qui m’a manqué, c’est d’avoir des rencontres avec des anciens ».

Béatrice pense que « sur le moment j’aurais voulu être encadrée par des psychologues, par des psychothérapeutes, par des vrais professionnels qui vous croient et qui ne vous dénigrent pas, par un juge qui prend parti de ce que vous dites, et qui va chercher des preuves et qui vous croit vraiment et qui ne vous dit pas, vous êtes une petite insolente et si vous n’arrêtez pas, je vous mets les menottes. C’est de la justice, ce n’est pas de se dire, ok ils mettent ça et ça et après ils me baladent à gauche et à droite. […] des personnes qui sont violées ou des personnes qui sont attouchées, ils ont besoin de parler, ils ont besoin de libérer leur parole. On besoin des gens qui les croient derrière […] à ce moment-là, j’avais besoin de vider mon sac, de dire les choses, et puis la seule façon que j’avais à ce moment-là, c’était l’agressivité, puisque j’avais besoin d’évacuer […] c’est-à-dire, de prendre le problème à cœur et de faire en sorte de trouver des solutions sur le moment et pas de trouver la solution de nous mettre à l’autre bout du monde, parce que le problème c’est que, mon problème, je l’ai toujours, mon problème n’a pas changé ».

Pascal : « Ils pensent qu’ils ont un droit sur les gamins, car ils disent c’est un CER par rapport à la loi, prendre des initiatives par nous-mêmes pour bien les encadrer et leur faire comprendre que ce n’est pas eux, ces petits cons, qui vont nous gérer et avoir le dessus, parce que c’est des gamins […] je pense qu’avec un dialogue, ils m’auraient dit, écoute va faire un tour, va dehors, va te calmer pendant une demi-heure, trois quarts d’heure ; oui je pense que cela aurait pu être évité ».

Bernard : « Plus d’attention, de présence. Je suis quelqu’un qui manque un peu d’amour. Un peu plus d’amour, ça aurait été bien […] j’ai toujours voulu être protecteur, ma sœur, ma mère, ma famille, on ne s’approche pas […] Concrètement, il n’y a pas eu de dialogue entre moi, mon père et l’ASE, soit c’était l’ASE qui disait, votre fils a des problèmes psychologiques ou mon père qui était trop nerveux pour garder son fils ».

Françoise : « Je ne sais pas vraiment. Après, avec les éducateurs que j’avais dans mon foyer… il y avait d’autres jeunes en fait, donc je ne me sentais pas écoutée ou pas assez soutenue. Parce qu’il y avait d’autres jeunes et avec d’autres jeunes aussi ça ne se passait pas bien ».

  • Alors que les professionnels tentent d’ouvrir la voie à d’autres dispositifs plus en adéquation avec les besoins de ces adolescents, c’est au contraire, non pas le contenant, mais ce qui fait contenance qui ressort dans les témoignages. Il est pointé un enfermement dans notre place d’expert à en oublier que les plus experts sont ces preneurs de risque ; et que nous avons à apprendre beaucoup d’eux. Mais qu’ils ont aussi à apprendre des anciens. Parfois, cette expertise, là où on l’attend, fait défaut. Dialoguer, écouter, parler, rencontrer, soutenir, et même aimer sont des besoins repérés. Au contraire, la stigmatisation des problématiques sur le parent ou le mineur, la mauvaise gestion des crises, le manque de présence sont des carences dénoncées.

Pour résumer, c’est la défaillance humaine qui est mise en relief et, plus précisément, les déficits cindynogènes des structures. Il serait aisé de faire un raccourci sur les pratiques professionnelles mais ce serait oublier la corrélation avec l’organisation, la communication, le management, qui peuvent tout aussi bien faire état de déficits complémentaires. Dans tous les cas, ce qui est revendiqué remet en question la culture, les valeurs (Téléologie) de nos modalités d’accompagnement.