3.9  Retour du séjour : une souffrance encore présente

Isabelle affirme : « ça a changé ma vie, du tout au tout. Je me suis plus aperçue, enfin, je me suis rendue compte de l’importance de la famille, du respect. Plein de petits éléments qui ont fait que ma vie n’est plus du tout la même aujourd’hui, et, qu’heureusement j’ai eu ce séjour de rupture. Ça m’a aidé aussi à créer une rupture complète avec des, comment dirais-je ? Je prends bien ce mot rupture, avec ces fréquentations qui n’étaient pas du tout les bonnes. […]Si je n’avais pas eu le séjour, soit  je serais morte avec une seringue dans le bras, soit je serais sur le trottoir pour avoir ma dose, ou soit en prison peut être ».

Béatrice ajoute « concrètement en revenant, mes problèmes, je les avais là-bas et en revenant, je les ai toujours eu et je les aurai toujours. Ça n’a absolument rien changé […]C’est vrai que remuer ça après tant d’années et puis quand on essaie de le cacher, on essaie de faire bonne figure et que ça revienne comme ça alors que je ne pensais pas […] et très sincèrement, le mal, c’est même pas pour moi c’est surtout pour ma mère et mes sœurs et tout le système qui a eu derrière qui a fait que ça n’a pas été dans le bon sens […] limite c’est plus la douleur que ma mère a eu que mon propre viol au bout de tant d’années […] Mais ils m’ont remis chez ma mère avec mes problèmes […] C’est que mon problème, je l’ai toujours, ma situation n’a absolument pas changé, j’ai 35 ans, je suis toujours célibataire sans enfant »

Pascal décrit qu’après le séjour, il est « retourné chez son père.  Je suis resté deux mois, février, mars et ça a claché […] Il a pris mon sac et m’a mis dehors […] Je suis parti six mois  à la Dominique […] Le juge n’a pas reconduit l’ordonnance et un mois après mon père m’a dit, casse-toi moi j’en ai marre, ça fait 17 ans que je te subis […] La stabilité n’est pas pour moi, je fais un travail là-dessous, j’ai rendez-vous au CMP avec un psychologue pour en parler, pour faire un travail sur ça. Car je peux plus, il faut que je trouve des solutions […] Quand j’étais à la gendarmerie je m’en veux, ça fait bientôt vingt ans, mais ça a eu des conséquences graves. Je ne vois pas ma mère, je n’ai pas de famille, mon petit frère et moi, proche de ma mère, on ne peut pas se voir, mes sœurs c’est terminé, elles ne veulent plus entendre parler de moi. Je vois tous mes amis, mon entourage, ils ont tous des situations stables, ils ont déjà eu des problèmes avec leurs parents mais ça s’est arrangé avec le temps, mais moi, ça fait vingt ans que ça ne s’arrange pas. Ce n’est pas constructif du tout pour moi comme pour eux ».

Bernard constate que sa vie « a changé du tout au tout. Je suis rentré le 28 août, je 16 septembre je travaillais et j’avais mon appartement. Je ne voulais plus être le jeune que j’étais, je voulais être responsable et rien à ne devoir à personne […] Avec ma mère, c’est compliqué. C’était ma confidente, je lui disais tout, mes relations amoureuses, les bêtises. Quand elle est partie, je n’avais plus personne à qui parler ».

Françoise estime que « ça l’a énormément changé. J’ai beaucoup grandi grâce à ce séjour, et le fait d’être en foyer jeunes travailleurs au lieu d’être chez mon père m’a encore plus mise en autonomie et tout ça ».

  • Jusqu’ici le modèle (Epistémique) du séjour de rupture trouve une certaine cohérence sur les dimensions des valeurs (Axiologie), des règles (Déontologie) et des finalités (Téléologie). Les disjonctions et déficits ne se révèlent que si nous élargissons ce réseau d’acteurs.  Nous voyons bien que certains retours de séjour se heurtent aux mêmes problématiques que celles des départs. La situation cindynique n’est pas pensée dans son ensemble. Le séjour de rupture joue la carte du changement de comportement du jeune, mais la cellule familiale, la réponse institutionnelle, le système dans son ensemble ne participent pas à cette évolution. Et donc des  disjonctions, des déficits systémiques font leur apparition.

Comprendre le fonctionnement des organisations, des réseaux d’acteurs, c’est-à-dire considérer l’espace cindynométrique, permet de réaliser un diagnostic, de mettre en lumière les dissonances et de faire parfois ressortir des évidences aux acteurs.