3.     Le PPE pour coordonner le parcours

Loin d’être évincée dans la loi de 2007, la place de l’enfant s’avère centrale, comme en témoigne la mise en place du PPE « qui précise les actions qui seront menées auprès de l’enfant, des parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre. Il mentionne l’institution et la personne chargées d’assurer la cohérence et la continuité des interventions… [1] ». A cette époque, il était seulement question, non pas de parcours, mais de continuité des interventions.

En 2014, le défenseur des droits décide de dresser un état des lieux sur le territoire national auprès des conseils départementaux pour évaluer la mise en place de cette obligation légale. Avec un taux de réponse de 75%, l’enquête met en lumière que sur les 75 réponses obtenues, une cinquantaine de départements déclarent instaurer le PPE. Le rapport précise toutefois que ces chiffres sont à nuancer car la mise en place est effective depuis moins de quatre ans, soit quatre ans après l’entrée en vigueur des dispositions légales de 2007. De plus, seulement 29 départements indiquent que l’enfant participe à l’élaboration du PPE et 11 que l’enfant a simplement connaissance du PPE. Dans la plupart des départements (47), les parents participent à l’élaboration du PPE et seul un département précise que ces derniers ne le signent pas alors, qu’en théorie, ce document est « cosigné par le président du conseil général et les représentants légaux du mineur ainsi que par un responsable de chacun des organismes chargés de mettre en œuvre les interventions[2]».

Dans ce rapport, l’une des raisons invoquées qui freine l’élaboration et la mise en place du PPE est expliquée par le fait que « celui-ci serait vu par les professionnels de terrain comme un énième document administratif dont l’élaboration serait chronophage. Plusieurs conseils départementaux ont du mal à distinguer le PPE d’autres documents existants tels que le document individuel de prise en charge, et à comprendre comment les articuler entre eux. ». L’obligation d’élaborer un PPE était déjà un élément technique obligatoire mais vécu comme une nouvelle démarche bureaucratique qui pouvait faire redondance cinq ans après la loi 2002.2. Le PPE connait donc une mise en place fastidieuse, peu effective dans les départements. Pour l’ensemble des acteurs, entre DIPC (Document individuel de prise en charge), PP (projet personnalisé) ou PI (projet individualisé) et PPE, les outils se multiplient à en perdre son latin ou plutôt à en perdre son acronyme. Il est question ici des contraintes règlementaires qui se superposent.

Pourtant, le PPE va devenir un document partagé entre l’enfant, les détenteurs de l’autorité parentale et les différents acteurs de la prise en charge comme le précise la ministre Laurence Rossignol[3] : « la réforme de la protection de l’enfance, c’est repositionner la protection de l’enfance dans l’intérêt de l’enfant, autour de ses besoins […] ce changement de paradigme [s’inscrit dans] une nouvelle définition de la protection de l’enfance [et est] incarné par un outil précieux de la politique publique de protection de l’enfance : le projet pour l’enfant […]. Le PPE […] est un document qui appartient à l’enfant et qui porte une véritable ambition pour lui. ».

Le législateur relance donc le PPE comme instrument clé de mobilisation des acteurs dans cette perspective de « sécuriser le parcours de l’enfant ». Il précise à cet effet, que les autres documents (DIPC, contrat de séjour, projet personnalisé…)  « relatifs à la prise en charge de l’enfant, s’articulent avec le projet pour l’enfant[4]».

La loi 2016 ratifie la mise en place de cet outil phare pour accompagner l’enfant et garantir les réponses à ses besoins tout au long de son parcours au sein de la protection de l’enfant, par décret cette fois-ci, « relatif au référentiel fixant le contenu du Projet Pour l’Enfant ». Son ambition est clairement affichée, « le projet pour l’enfant accompagne l’enfant tout au long de son parcours au titre de la protection de l’enfance. Il vise ainsi à assurer la stabilité de ce parcours ainsi que la continuité et la cohérence des actions conduites auprès de l’enfant, de sa famille et de son environnement[5] ». Le PPE peut-il vraiment tenir cet objectif de stabiliser le parcours dans le cadre des « situations complexes » ? Tous les adolescents dans ces situations bénéficient pourtant d’un PPE et la problématique des ruptures persiste.

Jean-Pierre Boutinet, se penche plus particulièrement sur la question du projet d’orientation du jeune. Nous pouvons y voir des éléments de compréhension bien plus larges que le simple projet professionnel.  Pour lui, le problème résulte du fait que « l’orientation ne pouvant être assurée, au moins explicitement, par l’encadrement parental, scolaire, professionnel, les questions et les incitations récurrentes des adultes visent autant à calmer leur propre angoisse qu’à interroger les projets d’avenir des jeunes[6] ». Il y voit un conflit de temporalité entre l’anticipation du monde des adultes et « l’immédiateté, de la transition, voire de l’échéance à très court terme » des jeunes. Cet affrontement entre projet et temporalité se confirme dans ce que je nommais auparavant, « l’horlogerie de l’incasable ».

Jean-Yves Barreyre et Patricia Fiacre ont saisi cet enjeu en partant du constat que « bien que personnalisé, concerté, réévalué, ajusté, parfois le projet (d’établissement ou individuel) fait fuir le sujet. C’est le cas notamment pour ce que les professionnels appellent souvent les populations limites ou dans un langage vernaculaire qui n’a rien de scientifique, les incasables [7]». Pour eux, la configuration de l’intervention en protection de l’enfance peut expliquer partiellement ces parcours institutionnels qu’ils qualifient de « chaotiques ».  Ils relèvent que ces situations induisent la coopération des différents acteurs mais que, seul le service opérateur à qui est confié le jeune, est directement impliqué dans la stratégie de protection. Alors qu’au contraire leur analyse les pousse à revendiquer « qu’aujourd’hui, la protection de l’enfance n’appartient plus aux seules institutions spécialisées et mandatées [8]». Nous pouvons interpréter que la protection doit mobiliser tout un réseau d’acteurs, mais que la responsabilité de cette protection appartient à un seul service.

Le décret précédemment cité, précise dans l’article D.223-13 que « le projet pour l’enfant est établi dans un objectif de construction commune entre les titulaires de l’autorité parentale, l’enfant, les tiers impliqués dans la vie de l’enfant, les services départementaux et, le cas échéant, le service ou l’établissement auquel le juge a confié la mesure ». Ainsi, l’ensemble des acteurs doit formaliser des objectifs communs. Cela s’impose à l’esprit, mais dans les faits, les objectifs, d’un parent, d’un service gardien, d’un établissement, d’un juge sont-ils les mêmes ? N’est-il pas possible que des objectifs se percutent entre un service responsable des conduites à risque d’un adolescent, des parents souvent en refus de la décision de justice, et un service gardien dépourvu de dispositifs adaptés ou simplement de places disponibles ?

Si le PPE doit permettre une meilleure prise en compte des besoins du mineur, nous voyons bien qu’il vient se heurter au seul méta-besoin de sécurité, dont les acteurs n’arrivent pas à trouver de réponses efficientes, spécifiquement pour les « situations complexes ». Ces situations ainsi perçues par les services en charge de l’accompagnement comme des « mesures par défaut » remettent en question l’organisation et les dispositifs de la PDE au sein du territoire.


[1] Code de l’action sociale et des familles, article L.223-1, loi 2007

[2] Code de l’action sociale et des familles, article L.223-1 (article 19)

[3] Discussion générale du 12 mai 2015 portant sur la proposition de loi relative à la protection de l’enfant.

[4] Article L.223-1-1 du code de l’action sociale et des familles -Loi n° 2016-297

[5] Décret n°2016-1283 du 28 septembre 2016 relatif au référentiel fixant le contenu du PPE, Art.D-223-12

[6] Boutinet Jean-Pierre.  L’espace contradictoire des conduites à projet : entre le projet d’orientation du jeune et le parcours atypique de l’adulte. INETOP, 2016, p.2

[7] Barreyre Jean-Yves, Fiacre Patricia. Quand le projet fait fuir le sujet. Vie sociale, ERES, 2010, n°4, p. 87

[8] Ibid, p. 96