5.2 Entre assistance et répression

Effectivement, cet élan protecteur envers l’enfant s’arrête là où commencent le vagabondage et les problématiques sociales qu’il fait naitre, marquées par des comportements jugés déviants. Le début du 20ème siècle marque un tournant répressif cette fois à l’égard de ces mineurs, pupilles de l’assistance publique, qui « par des actes d’immoralité, de violences ou de cruauté, donne des sujets de mécontentement très graves [1]». Le tribunal civil peut confier à l’administration pénitentiaire l’enfant assisté sur demande du préfet de département. « Qualifiés de vicieux, indisciplinés, difficiles, marqués par des défauts de caractère, auteur d’acte d’immoralité, de violence ou de cruauté », ces pupilles qui ne peuvent être confiés à des familles, et sont alors placés dans des écoles professionnelles départementales ou privées, agricoles ou industrielles, sur décision du préfet.

Ce n’est plus protéger l’enfant sur le plan moral, des violences ou actes de cruautés dont il est victime, mais protéger la société des actes d’immoralité, de violences ou de cruauté commis par l’enfant jugé « difficile » ou « vicieux ». Il est délicat mais probablement nécessaire de faire un rapprochement avec les « incasables » d’aujourd’hui, qui sont, eux aussi, parfois qualifiés de « difficiles ».

Cette loi cherche à différencier les enfants victimes et les enfants auteurs, de délits ou de crime pour déterminer la responsabilité de la charge financière, de l’enfance assistée dans le premier cas et de l’administration pénitentiaire dans le second.

Quelques années plus tard, le mineur de moins de 13 ans auquel « est imputé une infraction à la loi pénale, qualifié crime ou délit, n’est pas déféré à la juridiction répressive [2]», seul le tribunal civil est compétent pour ordonner des mesures de tutelle, de surveillance, d’éducation, de réforme ou d’assistance. Quant aux mineurs de 13 à 18 ans, l’article 18 notifie que « le tribunal de première instance se forme en tribunal pour enfants et adolescents, pour juger dans une audience spéciale les mineurs de treize à seize ans auxquels sont imputés des crimes ou des délits, et les mineurs de seize à dix-huit ans qui ne sont inculpés que de délits ». Autrement dit, la loi crée des tribunaux pour enfants et adolescents pour juger les mineurs délinquants.

Malgré cette avancée législative, des phénomènes s’amplifient imposant à l’Etat de créer un délit de vagabondage à destination des « mineurs de 18 ans qui, ayant, sans cause légitime, quitté soit le domicile de leur parents ou tuteur, soit les lieux où ils étaient placés par ceux à l’autorité desquelles ils étaient soumis ou confiés, ont été trouvés soit errants, soit logeant en garnis et n’exerçant régulièrement aucune profession, soit tirant leurs ressources de la débauche ou métiers prohibés[3] ».

Le vagabondage est intimement associé à la délinquance et ces mineurs en errance, livrés aux seules ressources issues de « la débauche et des métiers prohibés », relèvent toujours de la législation de 1912 leur permettant d’échapper à l’emprisonnement en deçà des 13 ans et de bénéficier des mesures éducatives à disposition des tribunaux pour enfants. Nous pouvons faire un parallèle avec les institutions d’aujourd’hui confrontées aux phénomènes de fugues et d’errance des adolescents. 

Jugée inefficace et insuffisamment humaine par les pouvoirs publics, cette mesure connait un revirement avec la suppression de la dimension fautive du vagabondage, définie cette fois-ci « pour les mineurs de 18 ans, qu’ils aient quitté leur parents, qu’ils aient été abandonnés par eux, ou qu’ils soient orphelins, n’ayant, d’autre part, ni travail, ni domicile, ou tirant leurs ressources de la débauche ou des métiers prohibés, seront soit sur leur demande, soit d’office, confiés préventivement à un établissement spécialement habilité à cet effet ou à l’assistance publique [4]».

En 1945, le préambule de l’ordonnance indique que « la guerre et les bouleversements d’ordre matériel et moral qu’elle a provoqués ont accrus dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l’enfance coupable est une des plus urgentes de l’époque présente [5]». Ainsi l’ordonnance controversée à chaque échéance électorale déresponsabilise les mineurs sur le plan pénal, et « ne pourront faire l’objet que de mesures de protection, d’éducation ou de réforme, en vertu d’un régime d’irresponsabilité pénale qui n’est susceptible de dérogation qu’à titre exceptionnel et par décision motivée ». Petite parenthèse, le 13 septembre de l’année d’écriture de l’ouvrage, cette fameuse ordonnance est abrogée et remplacée par un code de la justice pénale des mineurs. Elle confirme les tribunaux pour enfants en se dotant cette fois-ci d’un magistrat spécifique, le juge pour enfants.

L’ordonnance de 1958 « relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger » pose quant à elle, les jalons du fonctionnement actuel sur la base d’un constat principal :

  • « Par un étonnant paradoxe, c’est lorsqu’il a commis un acte anti-social que l’enfant est le mieux protégé par l’intervention judiciaire. En effet les moyens d’éducation mis par l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante à la disposition du juge des enfants sont refusés à de nombreux enfants que leurs conditions de vie mettent en danger physique ou moral, que leur situation ou leur état prédestine à la délinquance et aux formes graves de l’inadaptation sociale [6] ».

Le législateur constate des manquements en matière de protection sur le plan civil qui ne permettent pas au mineur d’être protégé ni de sa mère, ni de son père par un système législatif complet pour le mineur lui-même. Le législateur fait état également d’une possibilité que le parcours d’un enfant en danger ne devienne celui d’un enfant délinquant selon les situations. L’ordonnance étend donc les pouvoirs du juge des enfants sur le plan civil pour les mineurs en danger « dont la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation sont compromises… ». Une autre loi, celle du 10 juillet 1989[7] ramène la notion de maltraitance au-devant de la scène à des fins de prévention en citant le terme « mineurs maltraités » plus d’une dizaine de fois


[1] Loi du 28 juin 1904 « relative à l’éducation des pupilles de l’assistance publique difficiles ou vicieux », Journal Officiel du 29 juin 1904

[2] Loi du 22 juillet 1912 sur « les tribunaux pour enfants et sur la liberté surveillée », article 1, Journal Officiel du 25 juillet 1912

[3] Loi du 24 mars 1921 « concernant le vagabondage des mineurs de dix-huit ans » 

[4] Décret du 30 octobre 1935 relatif à la protection de l’enfance, Journal Officiel du 31 octobre 1935, article 2

[5] Ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante

[6] Ordonnance 1958 -1274 du 22 décembre 1958 « à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger » ; exposé des motifs, page 1

[7] Loi n°89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance