5.4 La nébulosité des notions de maltraitance et de danger

Pour comprendre le fonctionnement de la PDE, nous pouvons la diviser en deux catégories, celle relevant du Département et celle relevant de la Justice, la première avec l’adhésion des représentants légaux, la seconde sous contrainte : 

  • Le Conseil Départemental à travers l’ASE peut mettre en œuvre par exemple, une aide financière, une mesure administrative d’aide éducative à domicile, un contrat de jeune majeur ou un accueil provisoire (placement)
  • La protection judiciaire du ressort du procureur et du juge des enfants peut décider d’une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, un accueil (placement) en institution ou lieu de vie ou un placement à domicile.

De manière générale, la loi du 16 mars 2016 rappelle quant à elle, que la protection de l’enfant « comprend des actions de prévention en faveur de l’enfant et de ses parents, l’organisation du repérage et du traitement des situations de danger ou de risque de danger pour l’enfant ainsi que les décisions administratives et judiciaires prises pour sa protection[1]». C’est aussi l’occasion de rappeler que la « protection de l’enfance » est modifiée par la « protection de l’enfant », l’enfance étant considérée comme une période de la vie humaine, alors que l’enfant est un être humain.

L’héritage de l’assistance publique s’est transformé avec la décentralisation, de la DDASS à l’ASE. Les missions de ces administrations restent les mêmes : apporter de l’aide aux enfants maltraités, en danger ou en difficultés, orphelins, abandonnés, comme de l’aide aux familles. Comme le souligne Pierre Verdier, « pour cela, elle est toujours tiraillée entre deux postures : soutenir les parents, faire confiance en leur capacité d’élever leurs enfants et, à l’opposé, déceler les risques et incapacités pour y remédier rapidement, fût-ce un mode substitutif [2] ».

En effet, encore récemment, la loi du 5 mars 2007 stipulait que la protection de l’enfance « a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, d’accompagner les familles et d’assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs [3]». Cette approche préventive pour éviter les recours à l’autorité judiciaire, est rapidement jugée « familialiste », reléguant l’enfant en second plan.  Autre fondement, non des moindres, « le législateur remplace le terme maltraitance par celui plus générique d’enfants en danger. Il s’agit d’une modification juridique importante qui induit un véritable changement de paradigme[4] ».  Nous l’avons vu, il vient remplacer l’intitulé de la loi du 10 juillet 1989 qui jusqu’ici abordait la  « prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et protection des mineurs maltraités[5] ».

Dans les années 2001, l’ODAS tente d’apporter des définitions de maltraitance et de risque dans son guide méthodologique [6]:

  • « Un enfant maltraité est un enfant victime de violences physiques, d’abus sexuels, de violences psychologiques, de négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ».
  • « Un enfant en risque est un enfant qui connait des conditions d’existence risquant de compromettre sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son entretien, sans pour autant être maltraité ».

Au final, pour l’ODAS, le mineur en danger est celui qui rentre dans les deux définitions. Il est aussi question de la potentialité du danger, c’est-à-dire de la transformation du risque en danger.

Pour l’OMS, « la maltraitance des enfants se définit comme suit : toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé des enfants, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir [7]». Ici, négligence, mauvais traitements, sévices, préjudices, sont des formes de maltraitance. ODAS comme OMS intègrent la négligence dans leur définition alors qu’elle fait appel à différents degrés de gravité : légère, lourde, grave…etc. Cette notion repose plus précisément sur des actes involontaires et souvent répétitifs de la part du ou des parents.

Ces différentes définitions ne satisfont pas, car elles n’abordent pas la question du « danger » et parce qu’un risque peut éventuellement se transformer en maltraitance, en danger. Pour penser la maltraitance ou le risque, il ne semble pas possible d’évincer la notion de danger qui a pour définition de caractériser la menace.

Dans tous les cas, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, se rapproche enfin de la notion de danger incluse dans le code civil depuis l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui stipule dans son article 375 du code civil que « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice… ».

La notion de danger reste toutefois très difficile à cerner. Elle entraine d’abord une problématique de repérage pour les professionnels dont certains ont réclamé, lors de la phase d’élaboration de la loi du 5 mars 2007 « que cette loi fasse reposer la notion de danger sur un référentiel national [8]». Ensuite, nous avons vu que le danger pouvait évoluer selon les représentations de la société, de ce qui semble acceptable ou pas.  Il suffit de prendre l’exemple de la puissance paternelle pour illustrer ce propos. Les dangers d’hier, d’aujourd’hui, ne sont ceux de demain.  Leurs évolutions nécessitent alors une attention toute particulière. Même si le législateur n’a pas tranché en faveur d’un référentiel national d’évaluation du danger, laissant cette compétence aux magistrats, les professionnels de terrain se trouvent, eux, dépourvus de définition, de concept, et d’outil pour appréhender ces situations aussi bien dans la sphère familiale que dans l’espace institutionnel.

Au final, cette notion objective et subjective reste à l’appréciation des juges, des éducateurs, et de l’ensemble des acteurs de la PDE. Aussi, nous pouvons interroger l’évaluation du danger, de sa propre place, avec ses propres perceptions, sa propre analyse ; et sa propre sensibilité. C’est d’ailleurs l’argumentation avancée par les adversaires reprochant à la notion de danger son approximation. A croire que travailler avec l’humain relève de la précision et de l’exactitude. La notion de danger serait donc un apanage individuel même personnel, qu’il faut neutraliser, sans entreprendre de le penser collectivement, sans tenter d’élaborer une vision commune, un langage commun, bref une pensée commune. Il serait bancal d’affirmer que le danger sous sa forme matérielle et immatérielle n’est pas pensé collectivement au sein des équipes éducatives ; nous pouvons cependant admettre qu’il est pressenti par une tentation explicative généralement causale et ontologique. Si le danger serait par définition propre à l’être et ses déterminants sociaux, familiaux, historiques, cette justification n’apporte pas plus d’espérance dans notre compréhension globale et en écarte la possibilité de l’indéterminisme et de l’accidentel. Entrevoir les notions de risque et de danger n’est-ce pas au contraire élargir notre regard à l’ensemble des facteurs qui dépassent les seuls confins du sujet  et dans ce cas pouvons-nous réellement nous interdire d’y intégrer notre propre perception ?


[1] Loi N°2016-297 relative à la protection de l’enfant, CASF article L.112-3

[2] Verdier Pierre, Daadouch Christophe. De la protection de l’enfance à la protection de l’enfant. Berger Levrault, 2018, page 19

[3] Loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, article L. 112-3 du CASF

[4] ASH, les numéros juridiques. La protection de l’enfant, du droit aux pratiques.  2019, p. 12

[5] Loi n°89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, Art.2

[6] ODAS : http://odas.net/IMG/pdf/200105_Guide_methodo_Enfance_en_danger_2001.pdf, 2001

[7] OMS : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/child-maltreatment

[8] G.Derville, G.Rabin-Costy. La protection de l’enfance. Dunod, 2ème édition, 2011, p.7