5.1 De l’abandon à la maltraitance
Selon les époques, la question de la protection de l’enfant et donc de l’enfance en danger, évolue considérablement en fonction du cadre réglementaire. L’une des problématiques récurrentes réside dans l’intervention de l’état dans la sphère privée, c’est-à-dire la famille. Au-delà de cette tension, ce qui nous intéresse ici, c’est plus particulièrement la question de la représentation de l’enfant en danger par la société. Ce rapide descriptif, vise à repérer les problèmes et leurs traitements, par le législateur. Pour cette raison, l’historique démarre au moment où l’état se saisit de la question de « l’enfance ». Alors que jusqu’ici, l’église restait le principal protagoniste, fin du 17ème siècle, l’état intervient à son tour.
En effet, le 28 juin 1670, un édit royal rattache l’hôpital des Enfants trouvés à l’Hôpital Général créé sous Louis XIV le 27 avril 1656. Cette institution est « vouée à l’assistance des pauvres et destinée à œuvrer en faveur de la suppression de la mendicité à Paris et dans ses faubourgs [1] ». Les enfants vont être pris dans cet écueil au même titre que les autres publics et dans les mêmes conditions. C’est bien le problème de la pauvreté et de la mendicité des enfants comme des adultes, qui pousse à trouver une réponse globale dans le cadre d’une administration.
Il faut attendre la révolution pour voir proclamer le décret du 28 juin et du 8 juillet 1793[2] stipulant dans son article premier la responsabilité de la Nation en « charge de l’éducation physique et morale des enfants connus sous le nom d’enfants abandonnés ». Pour eux, la nation se pose garante de leurs conditions de vie et précise que « s’il y avait dans quelques-unes des époques, où ces enfants seront à la charge de la nation, des dangers soit pour leurs mœurs, soit pour leur santé, à les laisser auprès de leur mère (…) l’agence les retirera et les placera suivant l’âge, soit dans l’hospice, soit chez une autre nourrice ». A charge, à chaque municipalité d’organiser les conditions de dépôts des enfants. Chacune d’elles « doit y faire trouver tout ce qui est nécessaire pour la santé de l’enfant » et « pourvoira aux premiers besoins de l’enfant ». Il est intéressant de noter que la notion de danger sur le plan moral (mœurs) et médical (santé) est déjà présente, mais uniquement attribuée à la responsabilité de la mère. Nous pouvons également faire le parallèle des « premiers besoins », avec les « besoins fondamentaux » actuellement en vigueur dans le cadre réglementaire. De plus, sur la forme, les choses n’ont guère changé si nous actualisons les termes « d’hospice » par institution et « nourrice » par assistant familial. Cette comparaison osée ne considère pas le fond, mais seulement le principe.
La problématique relève principalement de l’abandon des enfants dont dorénavant la notion d’orphelin est de rigueur interdisant même toutes autres dénominations[3]. Le phénomène d’abandon persiste d’où la mise en œuvre d’un décret le 19 janvier 1811[4] qui va définir des dénominations et catégorisations par une définition reposant sur l’absence des parents :
- L’enfant trouvé de « mère et père inconnus, exposés dans un lieu quelconque ou portés dans les hospices destinés à les recevoir ».
- Les enfants abandonnés sont « nés de père et mère connus, et d’abord élevés par eux, ou par d’autres personnes à leur décharge, en sont délaissés, sans qu’on sache ce que père et mère sont devenus ».
- L’Orphelin « n’ayant ni père, ni mère, n’ont aucun moyen d’existence ».
En 1889, l’état va plus loin et intervient pour la première fois sur la possibilité de déchoir la puissance paternelle. Cette destitution partielle ou totale de l’ensemble des droits qui s’y rattachent au père et mère qui « compromettent par de mauvais traitements, par des exemples pernicieux d’ivrognerie habituelle ou d’inconduite notoire, par un défaut de soins ou par un manque de direction nécessaire, soit la santé, soit la sécurité, soit la moralité de leurs enfants…[5]». Ces éléments constituent encore à ce jour, quelques piliers de la protection de l’enfant sur le versant judiciaire, et détermine les raisons, santé, moralité et sécurité, pour lesquelles les parents sont destitués, ainsi que les possibilités de modalités de tutelle. Pour autant, la notion de mauvais traitements reste particulièrement floue et ne trouve que des contours autour des négligences parentales. C’est bien le comportement des parents qui est pointé par le législateur qui va en 1898 déployer tout un arsenal de qualificatifs et de peines associées envers les adultes coupables de « violences, voies de faits, actes de cruauté, et attentats commis envers les enfants » précisant que « quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups à un enfant au-dessous de l’âge de 15 ans accomplis ou qui l’aura volontairement privé d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé, sera puni d’un emprisonnement de un à trois ans[6] ». Nous sommes dans les prémices de la notion de maltraitance et celle de l’adolescence commence à faire son apparition sans y être nommée mais suggérée par l’augmentation de l’âge à 15 ans à la fin du 19ème siècle.
La loi du 27 juin 1904 relative « au service des enfants assistés » différencie les enfants « dits secourus et en dépôt, les enfants en garde, qui sont sous la protection de l’autorité publique [7]», des enfants « trouvés, des enfants abandonnés, les orphelins pauvres, les enfants maltraités, délaissés ou moralement abandonnés » qui sont placés sous la tutelle de l’autorité publique et dits pupilles de l’état. Cette fois-ci les problématiques sont multiples, de l’enfant abandonné à l’enfant maltraité. Un jour plus tard, une nouvelle loi, non plus protectrice mais répressive va venir cliver l’enfant victime, de l’enfant délinquant.
[1] Archives Assistance Publique Hôpitaux de Paris, http://archives.aphp.fr/hopital-general-1656-1790
[2] Décret du 28 juin au 8 juillet 1793 « relatif à l’organisation des secours à accorder annuellement aux enfants, aux vieillards et aux indigents »
[3] Ibid, « Ces enfants seront désormais désignés sous la dénomination d’orphelins ; toutes autres qualifications sont absolument prohibées », article 2
[4] Décret « concernant les enfants trouvés ou abandonnés, et les orphelins pauvres » du 19 janvier 1811, source : gouvernement impérial, du 13 au 19 janvier 1811
[5] Loi du 24 juillet 1889 sur « la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés », article 2, Journal Officiel du 25 juillet 1889
[6] Loi du 19 avril 1898 sur « la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis envers les enfants », Journal Officiel du 21 avril 1898
[7] Loi du 27 juin 1904 « sur le service des enfants assistés », article 1 et 2