6.2  De multiples classifications des besoins

Les nomenclatures des besoins sont nombreuses, partant de celle de Maslow[1] (théorie de motivation 1970) arborant une classification hiérarchisée et déterminant par ordre de priorité les besoins : physiologiques – de sécurité- d’appartenance- d’estime- de s’accomplir. Cette conception pyramidale des besoins laisse entendre que la satisfaction des besoins physiologiques doit précéder toute tentative de satisfaire le besoin de sécurité (protection), lequel doit être satisfait avant les besoins d’appartenance…etc. La symbolique de la pyramide repose sur la fondation d’une base solide pour atteindre les autres besoins.

Cette vision peut être confirmée en justifiant que « lorsque l’on s’éloigne en particulier des besoins les plus physiologiques pour considérer le développement de l’enfant dans toutes ses dimensions, la question de la normativité et de l’universalité se pose rapidement [2]». Les auteures s’appuient en outre sur les travaux de Martin Woodhead[3] (1997) qui tente une démonstration appuyée par des exemples tirés de la littérature grise et d’ouvrages de professionnels se référant à cette notion de « besoin de l’enfant ».  Elles en déduisent que la notion de besoin est souvent reliée à une organisation sociale déterminée et difficilement transposable à d’autres sociétés et se réfèrent aux travaux d’Anne Thévenot et Claire Metz pour lesquels d’après Serge Lesourd psychanalyste, « répondre à l’enfant en termes de besoin risque de mettre en péril la dynamique du manque et du désir. Satisfaire la demande sans délai, a fortiori par des objets, empêche le sujet de rencontrer le manque d’où pourrait émerger et se construire le désir[4] ».

Dans la longue lignée des besoins, nous retrouvons le paradigme des douze besoins psychopédagogiques établi en 2004 dans l’ouvrage « l’éducation post-moderne » par Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet. Quatre dimensions majeures y sont répertoriées : affective (affiliation) – cognitive (accomplissement) – sociale (autonomie) – valeurs (idéologie). Il faut entendre le terme pédagogique comme une vision globale regroupant les dimensions scolaires, familiales et sociétales dans une approche systémique de l’enfant dans son milieu familial et environnemental[5]. Retenons ici, l’axe des valeurs qui compose selon les concepteurs une ressource déterminante dans le processus de construction identitaire de l’individu.

Quant à T. Brazelton et S. Greenspan, médecins, ils élaborent sept « besoins incontournables » s’agissant « des expériences et de soins que tout enfant à le droit d’avoir, formulés ainsi : le besoin de relations chaleureuses et stables ; de protection physique, de sécurité et de régulation ; d’expériences adaptées aux différences individuelles ; d’expériences adaptées au développement ; de limites, de structures et d’attentes ; d’une communauté stable, de son soutien, de sa culture ; de protection de notre avenir [6]».

Le 8 novembre 2016 lors de l’audition à la DGSC, le docteur Maurice Berger appuiera un principe indispensable jusqu’ici omis en déclarant qu’ : « aucun outil référentiel d’évaluation n’est utilisable s’il ne s’accompagne pas de la liste des besoins fondamentaux minimum qui doivent être satisfaits pour que le développement ne soit pas compromis ; des capacités parentales minimum requises pour le même objectif ; d’une mesure de quotient de développement, qui est un des indicateurs de satisfaction des besoins fondamentaux [7]».  Aussi, en toute logique, la seule entrée des besoins fondamentaux ne suffit pas, puisque c’est bien la capacité parentale à répondre à ces besoins, qui doit être considérée. De nouveau, apparait le tiraillement entre soutenir les parents et répondre aux besoins de l’enfant. A ce propos en 2014, déjà préoccupé par l’appréhension de la notion de risque et de danger par les travailleurs sociaux, j’avais tenté d’élaborer un référentiel s’attachant à évaluer les situations familiales regroupant :

Les facteurs familiaux et environnementaux :

  • Habitat (sécurité, hygiène, intimité, commodité)
  • Ressources (prestations sociales, gestion financière, mobilité)
  • Intégration sociale (stabilité, inclusion, activité professionnelle, personnes ressources)
  • Relation familiale (problématique personnelle, relation inter-parentale, liens entre les membres, fratrie, histoire/affiliation)

Les capacités parentales :

  • Santé (suivi médical, suivi spécifique, suivi psychologique)
  • Soin de base (alimentation, habillement, hygiène, rythme biologique)
  • Sécurité (cadre éducatif, protection physique, protection psychique et affective)
  • Encadrement (respect, stabilité, valorisation, scolarité, socialisation)

Développement de l’enfant :

  • Santé (sommeil, somatisation, addiction, autres)
  • Identité (lien d’attachement, estime de soi, reconnaissance, culturelle)
  • Comportement (émotif, intellectuel, social, apprentissage, stimulation)
  • Relation (père, mère, fratrie, famille élargie, amicale, service)

L’intervention du service :

  • Mesure (compréhension, acceptation, confiance, investissement)
  • Service (sollicitation astreintes, sollicitation psy et AF, visite à domicile)
  • Soutien (aide matérielle, rôle éducatif, parentalité, relationnel)
  • Partenaires (TISF, CMS, CMPP, ASE, autre)

L’évaluation reposait sur le degré de mobilisation (avec suppléance, avec soutien, sans soutien) ou sur la satisfaction des besoins (peu satisfaisant, moyennement satisfaisant, non satisfaisant). Naturellement, cette évaluation gardait l’esprit d’une analyse partagée entre les professionnels, les parents et l’enfant.  Nous pouvons cependant y voir de nombreux défauts, à commencer la redondance de certains indicateurs, l’enfermement dans des dimensions perméables, la légèreté des degrés évaluatifs. Mais je pense que le plus gros défaut réside sur sa finalité qui a complètement dévié de sa trajectoire initiale, celle de penser la notion de danger, celle d’évaluer le risque. Nous pouvons y trouver à la rigueur quelques clignotants d’alerte sur des potentiels risques décris dans les thématiques. Néanmoins, un autre paramètre apparait, celui de la place du service tout au long de l’accompagnement, de son interaction dans le processus de changement, d’amélioration des conditions d’éducation de l’enfant et de la réponse parentale à ses besoins. Si la réponse aux besoins de l’enfant doit être croisée avec la capacité des parents à y répondre, alors dans le cadre d’une action de suppléance parentale de l’institution, sa réponse aux besoins de l’enfant doit également faire état de son intervention.

L’institution ne serait-elle pas en définitive que le relai, que la simple propagation des valeurs normatives de la société et quid de la transmission de celles des parents ? Dans quelle mesure cet écart entre valeurs institutionnelles et parentales peut-il porter atteinte au développement de l’enfant ? Le rôle de l’institution vise-t-il à faciliter la compréhension des parents quant aux besoins de leur enfant ou de pointer les risques de danger éventuels à des fins de protection ? Lequel de ces deux rôles serait le plus efficient et facilitateur d’entendement pour atteindre les objectifs préalablement définis ? La complexité des situations nous amène à répondre que ce n’est pas l’un ou l’autre mais l’un et l’autre dans toute sa complémentarité. Paradoxalement, le consensus des besoins fondamentaux insiste sur le méta-besoin de sécurité mais il se refuse à toute hiérarchie privilégiant une vue d’ensemble des interdépendances des besoins.    

C’est pourquoi, la hiérarchisation des besoins stricto sensu ne fait plus consentement, mais persiste toutefois par une échelle temporelle, en précisant que ces besoins évoluent avec l’âge en prenant pour exemple l’enfant de cinq ans dont le besoin de stabilité des personnes et des lieux est prioritaire. Nous la retrouvons à travers la hiérarchie des générations qui doit éviter de chercher un équilibre entre les besoins des enfants et les besoins des adultes, le premier restant prioritaire. Le médecin Michel Berger précise au final le « besoin de continuité, d’un adulte stable physiquement et émotionnellement, continuité des décisions judiciaires protectrices, des professionnels référents, de la famille d’accueil si placement [8]».

Au vu de la multitude et de la normalisation prépondérante à cette notion de besoin, la critique semble donc envisageable, parce qu’elle est assujettie principalement à différents regards disciplinaires (psychanalyse, médecine, pédagogique, psychologie), qui malgré certaines similitudes, ne concordent pas. Il en résulte donc toute la complexité de cette notion qui provient de l’interaction à la fois, de l’enfant, du milieu familial, de l’environnement et de la société. Mais au final, la plus grande lacune du législateur, qui s’est adjugé cette notion pour intervertir la place de chacun et remonter ainsi l’enfant au cœur des préoccupations, est de rendre invisible la spécificité des enfants relevant de la PDE. La démarche de consensus vient combler ce manque, et préciser les besoins spécifiques propres à ce secteur.


[1] WIKIPEDIA : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pyramide_des_besoins

[2] Bolter Flora , Keravel Elsa, Oui Anne  et al. Les besoins fondamentaux de l’enfant. Revue des politiques sociales et familiales, 2017, n°124, p.108

[3] Psychology and the cultural construction of children’s needs, constructing and recontructing childhood, contemporary issues in the sociological study of childhood, Londres, Falmer, p. 63-64

[4] Thévenot Anne, Metz Claire. Regards contemporains sur l’enfant : des figures contradictoires. Dialogue, n°281, 2008, p.98

[5] Pélissonnier Christian.  Pourtois, J.-P, & Desmet,H. (2004). L’éducation implicite. INETOP, 2005

[6] ONPE. Les besoins fondamentaux de l’enfant et leur déclinaison pratique en protection de l’enfance. Note d’actualité, 2016, p.3

[7] Berger Maurice : http://mauriceberger.net/wpmaurice/wp-content/uploads/2017/03/Besoins-Fondamentaux-De-L-Enfant.pdf, p.5

[8] Ibid, p.9