Paradoxalement, alors que la question de l’appréhension du danger reste problématique, la notion de « besoin » s’affirme dans les nouvelles politiques sociales. Nous pouvons y voir une tentative de dépasser ce problème qui semble insoluble. De plus, pour pallier les précédents manquements de référentiel commun sur la notion de danger, un consensus est établi par des experts sur cette nouvelle notion. Dans ce déroulé, nous pouvons également constater, qu’à chaque tentative de compréhension des conduites des jeunes « en situation d’incasabilité », le doigt pointe sans exception soit sur le jeune, soit sur l’institution, soit sur la société. En somme, il est question soit de comportement, soit de règles et compétences, soit de valeurs mais aucunement question du traitement de la notion même de risque et de danger qui n’arrive toujours pas à son essor dans le secteur social et médico-social.
Pourtant la Haute Autorité de Santé rappelle que pas moins de 3 870 notes d’incidents entre mineurs ont été relevées dans les établissements de la protection de l’enfance et de la protection judiciaire de la jeunesse en 2015. Sur la base d’un document de travail traitant des actes de violence au sein des établissements, l’HAS identifie six types de violences que « le professionnel peut être amené à gérer à tout moment : verbales (insultes, etc.) ; psychologiques (sexisme, chantage, etc.) ; contre les biens (dégradations, vols, etc.) ; sexuelles ; physiques (au sens large, du crachat à la tentative de meurtre) ; et les cyber-violences[1] ».
Ainsi, des recommandations sont faites dans le sens de repérer ces actes afin d’intervenir avant que ceux-ci ne se produisent et, en éviter ainsi les effets dévastateurs. Même si, non précisés, nous pouvons supposer comme effets indésirables, la rupture de l’accompagnement, l’atteinte à l’intégrité morale et physique sur les mineurs victimes. Sans proposer un modèle ou une méthodologie permettant de mieux cerner ces phénomènes, l’HAS invite à la mise en place de reportings des incidents pour tenter d’identifier des éléments déclencheurs, des zones ou des temps à risques : « contextes, organisation de travail, éléments saillants issus du parcours personnel, analyse des minutes précédant l’acte de violence ». Cette recommandation cherche à identifier les mécanismes de déclenchement afin d’anticiper et de prévenir la prochaine situation de passage à l’acte.
Malheureusement, les préconisations qui en découlent se limitent à affirmer dans le projet d’établissement, l’interdit de toute forme de violence, interdit porté par tous les professionnels. Je pense que ces derniers en sont convaincus. Il est recommandé aussi de soutenir l’action des professionnels pour prévenir les effets négatifs de la violence par le repérage des facteurs de risque, et par la construction de pratiques adaptées.
En appui, Jacques Moriau s’intéresse précisément à la pratique des intervenants en posant les questions s’y afférant : quel type de solution peut-on mettre en place pour apporter une réponse aux débordements ? Faut-il réformer les méthodes de travail ? Est-il nécessaire de mettre en place de nouvelles structures ? Faut-il se centrer plutôt sur l’adaptation du travail effectué par les structures existantes, en améliorant le travail en réseau par exemple ? Ces interrogations sont portées par un principe de vigilance, de « ne pas «psychologiser» le problème, dans le sens où toutes les explications seraient à trouver du côté des jeunes, de leur structuration psychique voire de déterminants génétiques et de leur inadéquation à toute forme de vie sociale. Nous faisons au contraire le pari que la répétition des ruptures trouve sa source dans une mise en relation de plusieurs ordres (celui du jeune, de sa famille, des institutions d’aide, de soin ou de sanction, etc.[2] ».
En reliant ces deux points de vue, la compréhension des prémices d’un « clash » relevée par l’HAS me semble pertinente si nous pensons aussi à les explorer dans l’instant présent dans l’interaction entre le professionnel et l’adolescent. La violence quant à elle, n’est qu’un phénomène parmi d’autres, et tous méritent d’être étudiés. Le second point de vue, celui de J.Moriau, permet d’élargir cette piste au-delà des simples crises clastiques, en y intégrant l’aspect répétitif des situations à risque.
Yvon Pesqueux ouvre la voie dans ce sens précisant que « le risque est donc lié au sujet, aux situations dans lesquelles il se trouve ou encore au croisement des deux, ces trois occurrences étant variables [3]». Il aborde différents angles du risque et du danger, individuel, collectif, sociétal, acceptable ou pas, etc. En conclusion, il prône une approche épistémologique par le tressage entre la notion de sécurité, de fiabilité et de risque. L’ensemble de ces éléments nous invitent à appréhender la « situation d’incasabilité » d’une toute autre manière, à travers la « situation à risque ». Ces adolescents ne seraient-ils pas en définitive « des adolescents en situation de risques multiples » ?
Ce sont bien ces conduites qui génèrent ces « situations d’incasabilité », et ballotent le jeune d’une institution à une autre. Une meilleure connaissance des phénomènes liés aux risques et aux dangers, ne serait-elle pas l’occasion de réduire ces conduites, d’écarter des dangers, et par conséquent d’éviter certaines ruptures de parcours au sein des dispositifs de la PDE ?
[1] HAS : https://www.has-sante.fr/jcms/pprd_2974162/fr/protection-de-l-enfance-prevenir-les-violences-entre-mineurs
[2] MORIAU Jacques. L’impossible prise en charge des jeunes à la limite de l’aide à la jeunesse et de la psychiatrie. JDJ, 2004, n° 233, p.5
[3] Yvon Pesqueux. Pour une épistémologie du risque. Mangement et avenir, n°43, 2011, p.463