Conclusion Mémoire

Ecarter la notion de risque et de danger dans le secteur de la protection de l’enfant, ne permet pas, à mon sens, d’écarter le risque ou le danger. Comme le montre l’enquête auprès des professionnels, la gestion des risques est au cœur des situations « d’incasabilité ». Ne pas penser le danger conduit à des ruptures au sein des dispositifs. Les témoignages démontrent certains manques, certaines aberrations dans la gestion des crises et des passages à l’acte.

La cindynique n’est pas un remède à toute la complexité abordée. Néanmoins, étudier et analyser les risques pour tenter d’apporter des actions correctives ; mettre en place un réel système de retour d’expérience, pour en réduire les défaillances humaines et organisationnelles ; c’est déjà ne plus faire preuve de cécité face au danger. Peut-être que l’absence de réponses innovantes et les difficultés de coordination, qui font débat à ce jour dans les différents secteurs,  ne bénéficient pas des conditions pour atteindre leur objectif.  Il ne s’agit pas d’opposer ces trois formes, innovation, coordination et conditions, mais au contraire de les faire coopérer. Les cindyniques ne sont-ils pas en définitif une manière de cimenter la coordination et l’innovation, dans les perspectives d’améliorer l’accompagnement de ces adolescents ?

La compréhension des risques et dangers, ceux-là mêmes qui désorganisent les réseaux d’acteurs, repose principalement sur la pathologie (psychique) ou sur l’éthologie (comportement), qu’elles dépendent de l’individu ou qu’elles soient imputées à l’institution. Comment se fait-il alors que les organisations spécialisées et outillées pour protéger, s’en remettent à cette forme de déterminisme ? La question tourne ainsi le plus souvent autour de la cause. Alors que d’autres secteurs, moins sensibles, et moins confrontés aux dangers se sont armés de dispositifs de veille, de sureté, de gestion des risques, la PDE continue d’écarter cette éventualité. La « situation d’incasabilité » semble pourtant étroitement liée à la question des risques et dangers. Il ne s’agit pas tant de savoir pourquoi « le jeune est incasable », que de savoir « comment gérer ces phénomènes de danger ».

L’approche contextuelle ou circonstancielle, en autres, abordée par la science du danger, ouvre d’autres perspectives. Certes, c’est un parti pris de ma part, car « si l’ingénierie comporte une dimension technique, elle ne signifie pas neutralité. Le croisement de la recherche permet de pointer que le travail d’analyse repose sur des points de vue[1] ». Et c’est d’abord en exerçant cette démarche recherche par une mise en débat des points de vue, celui des théoriciens, des professionnels et des jeunes, que des options se dessinent. Comment ne pas faire le parallèle entre le parcours de ces jeunes et le parcours de recherche : sinueux, fait d’allers et retours, d’embuches, de rencontres, de choix, d’orientations, mais aussi, de prise de risque. Fruit du hasard ou pas, je m’interroge encore sur les orientations possibles de ce mémoire si la découverte des cindyniques n’avait pas eu lieu. Car la cindynique comme l’ingénierie sociale, ne visent pas à apporter des solutions concrètes, mais cherchent à poser les conditions nécessaires pour aider les organisations, les associations, les professionnels, les acteurs, les publics, ici de la PDE. Comme le précise Vincent de Gaulejac, l’ingénierie sociale c’est « plus qu’un savoir-faire, il s’agit d’un savoir-faire faire[2] ».

Ainsi, la question qui se pose à moi maintenant, c’est comment faire vivre cette recherche ? La rencontre entre la PDE et les cindyniques est-elle possible ? La critique peut être facile à ce stade, de renvoyer cette science à ses origines, celles de l’étude des risques naturels et technologiques. Néanmoins, je reste convaincu que l’étude des risques au sein de la PDE est indispensable, non pas pour viser l’utopie du risque zéro, mais pour décloisonner les différentes entités qui la composent.

Mais le chantier reste à faire, le cadre développeur doit à partir de cette méthode, en assembler les éléments, exercer une critique et en dernier ressort, exécuter une transformation. Il ne faudrait pas que l’appropriation des cindyniques ne se limite à une scientificité, qui enfermerait à nouveau dans des grilles, des cases, la compréhension des phénomènes à l’œuvre. De plus, cette approche doit s’accorder impérativement avec un principe fondamental de l’ingénierie sociale, la participation collective de l’ensemble des acteurs : adolescents, parents, professionnels, ASE, Magistrats…etc.

Pour A. Perven « la participation est un processus d’engagement des acteurs dans la conception, la mise en œuvre, l’évaluation d’une action, d’un programme, d’un dispositif, d’une politique. Cet engagement suppose une implication et un accès à la décision qui nécessite un partage du savoir et du pouvoir [3]». Autrement dit, le « cindynicien » de par son métier, sa fonction, sa compétence, son art, doit faciliter cet état d’engagement. Mais le préalable de cet accès au savoir et au pouvoir partagé, réside d’abord dans la transmission de l’intérêt de l’approche cindynique auprès des acteurs de la PDE. Nous verrons alors si le cindynicien est un profil d’avenir.


[1] Dubéchot Patrick. Le Diplôme d’état d’ingénierie sociale. Enjeux et perspectives. ERES, n°1,2011, page 68

[2] Ibid, p. 71

[3] Penven Alain. L’ingénierie sociale. Expertise collective et transformation sociale. Erès, 2013, p.79