SECTION 2 : LE PARCOURS DES «INCASABLES

  1. Le nouveau paradigme du parcours au sein la protection de l’enfance

1.1 Stabilité ou parcours ?

Le terme « parcours » est employé dans de nombreux domaines, tel que le parcours professionnel, le parcours scolaire, le parcours de vie, ou fait état d’expressions populaires tels que le parcours du combattant ou plus négativement l’accident de parcours. Il prend sa source du latin « percursus : action de parcourir ». En France, cette action désigne d’abord un droit féodal en 1268, par la « convention entre seigneurs voisins en vertu de laquelle les vassaux libres pouvaient passer d’une seigneurie à une autre sans perdre leur franchise » ; puis des droits ruraux, celui « réciproque de deux ou plusieurs communautés voisines d’envoyer paitre leur bétail sur les territoires respectifs en temps de vaine pâture [1]». Les plus critiques d’entre nous pourraient faire le rapprochement dans ce cas de figure d’une seigneurie à une autre par : d’une institution à une autre, en ce qui concerne les « situations d’incasabilité ».

Le verbe « parcourir » n’a débouché que sur les dérivés de parcourable, qui peut être parcouru et de parcoureur, celui qui parcourt (une distance)[2] ou encore « C’est aux parcoureurs du monde que nous devons des océans et des empires[3] » comme l’écrivait l’académicien Paul Moran. Ce dernier terme peu utilisé porte pourtant un intérêt particulier, celui de mener l’action et d’être acteur de son parcours, ici, à la découverte de nouveaux horizons.

Depuis peu, le « Parkour » est aussi une « discipline sportive qui consiste à franchir successivement divers obstacles urbains ou naturels, par des mouvements agiles et rapides et sans l’aide de matériel, par exemple par la course, des sauts, des gestes d’escalade, des déplacements en équilibre, etc.[4] » ; désigné officiellement par le ministère du sport comme « l’art du déplacement ». Le parcours traduit la mobilité, le mouvement, la capacité à dépasser les obstacles et mesurer les risques par le « traceur » souvent des adolescents ou jeunes adultes. Nous pourrions y voir ici le développement d’habilités sportives et le transposer en habilités sociales pour faire des choix face aux obstacles et autres imprévus de la vie. Nous voyons bien le côté proactif, vivant, dynamique du parcours dans son origine comme dans son usage actuel.

Aussi, lorsque l’article L.221-1 du CASF impose au service d’aide sociale à l’enfance de « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme » ; difficile de ne pas y voir un oxymore par le rapprochement des termes « stabilité » et « parcours ». Cette figure de style est souvent employée pour créer la surprise. Nous pouvons dire que c’est réussi, la notion de parcours n’avait pas atteint directement le secteur de la PDE jusqu’à présent. Alors que la notion de « besoins fondamentaux », pourtant bien présente dans la loi n°2007-293, est vécue comme le nouveau paradigme, c’est plutôt, à mon sens, la notion de parcours, originaire des champs du sanitaire et médico-social notamment, qui doit être considérée comme un nouveau courant de pensée. Néanmoins, le législateur n’utilise ce terme qu’à trois reprises, et non sans paradoxe.

1.2  La discontinuité des parcours

La notion de parcours n’est pas définie dans la nouvelle loi de 2016 relative la protection de l’enfant. L’intégration de la notion trouve ses origines dans la feuille de route 2015-2017, et part du constat que « de nombreux témoignages montrent la persistance des ruptures dans les parcours des enfants confiés à l’ASE et la corrélation qui existe souvent entre ces ruptures et les difficultés ressenties dans leur vie d’adulte. Si elles procèdent évidemment de la séparation familiale et du bouleversement des repères habituels que provoque la décision de placement, ces ruptures continuent souvent de jalonner le parcours de l’enfant : changements de lieux de placement, allers-retours domicile/lieux d’accueils[1] ».

Cette problématique récurrente des discontinuités de parcours de l’enfant confié aux services de la PDE va donc influencer considérablement le processus législatif en cours.

Pour ces raisons, le titre II de la loi du 14 mars 2016 enjoint à « sécuriser le parcours de l’enfant en protection de l’enfance ». Comme nous l’avons vu, l’ASE doit « veiller à la stabilité du parcours de l’enfant confié et à l’adaptation de son statut sur le long terme ».

Pour préparer la majorité du mineur, il est inséré l’article L.225-5-1 du CASF qui prévoit « un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli […] un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l’autonomie… ». Au final, le parcours n’apparait que peu de fois et cet objectif affiché de « sécuriser le parcours » repose donc sur l’appropriation et l’opérationnalité de cette notion par les acteurs de la PDE.

Même si nous pouvons tout à fait comprendre les motivations légiférées, n’existe-t-il pas un abîme entre :

  • les constats : des ruptures ou discontinuités de parcours,

et,

  • les objectifs : stabiliser ou sécuriser les parcours.

Nous pouvons interroger d’abord la faisabilité d’un tel objectif : Est-il possible de stabiliser un parcours, voire de le sécuriser ? Si nous avions ce pouvoir-là, faut-il le faire ? De l’autre versant, peut-il y avoir des parcours sans ruptures ? Si ce n’est pas le cas, doit-on les éviter ou comment les éviter ? Même si ce raisonnement semble cohérent, il n’en est pas moins tronqué et soulève une question éthique, celle de la toute-puissance de l’institution.

Rappelons également que sécuriser signifie protéger d’un risque et que la rupture peut se justifier par l’évaluation d’un potentiel danger. Ainsi, la rupture de parcours peut être perçue non plus comme un méfait mais comme une mesure salvatrice autrement dit protectrice, mission première de la PDE. Nous pouvons modérer ce propos en reprenant l’objectif à priori plus simple « d’accompagnement » à la rupture. Dans ce cas, il n’est plus envisagé d’éviter la rupture, mais d’en assumer les conséquences qui en découlent. Cela nécessite cependant une connaissance aboutie des raisons de ces ruptures pour y apporter des traitements.  Sommes-nous aujourd’hui en capacité de décrire, de regrouper, d’analyser les risques, motifs des ruptures de parcours ?

L’injonction législative reste néanmoins présente et soulève plutôt une volonté de responsabiliser les acteurs de la PDE, pour que tous s’inscrivent dans la mise en œuvre de réponses adéquates. Par ailleurs, qui dit parcours, dit réseau d’acteurs, relevant de manière large du champ social, médico-social ou sanitaire. Or, nous avons pointé que ces adolescents en « situation d’incasabilité » génèrent un mécanisme de clivage entre les différents champs. Nous pouvons entendre cette obligation, comme une invitation à la coordination des acteurs de la PDE pour précisément éviter ces ruptures de parcours.


[1] Ministère des affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes. Feuille de route pour la protection de l’enfance 2015-2017. 2015, p. 9


[1] CNRTL : http://www.cnrtl.fr/definition/parcoureur

[2] Ibid.

[3] Morand,Chron, homme maigre,1941, p.120

[4] Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Parkour