UN DANGER PEUT EN CACHER UN AUTRE

Prévention des ruptures de parcours et gestion des crises en protection de l’enfance par l’approche Cindyniques

Mémoire de recherche Diplôme d’Etat d’Ingénierie Sociale (DEIS) – Cédric TIJSSELING

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Glossaire, plan, note de l’écrit sur cette page. Bonne lecture.

INTRODUCTION

  1. Les constats

1.1 Les incidents de terrain

A l’âge de 18 ans, je fis mes premiers pas dans le monde de l’éducation spécialisée en intégrant la formation de moniteur-éducateur. Si je fais l’effort de raviver quelques souvenirs, deux d’entre eux ont marqué mes débuts. Le premier concerne le comportement d’une jeune fille de 14 ans qui par ses crises, interrogeait l’équipe de la MECS et suscitait chez moi une terreur indicible. Le second souvenir relève des préjugés qui circulaient sur les instituts de rééducation (ITEP) au sein de notre promotion à l’encontre des enfants et adolescents souffrants de troubles du comportement. Échappant durant toute ma formation à la rencontre de ce dernier public, ce ne fut qu’un soulagement de courte durée, car je dus accepter, une fois diplômé du haut de vingt ans, le premier poste qui se présentait à moi au sein justement d’un ITEP. C’est ainsi que quatorze années passèrent… Ces deux souvenirs parmi d’autres soulignent combien, dans le champ de la protection de l’enfant et du handicap, nos représentations sont fortes et combien ces adolescents aux comportements difficiles peuvent, même nous professionnels, nous dérouter.

Plus tard, dans mes fonctions de chef de service, puis de directeur, je constatais que les situations d’adolescents dits « incasables » qualifiées aujourd’hui de « situations complexes » tiennent le devant de la scène. La réalité de terrain est un vivier fertile pour comprendre les enjeux de taille que soulèvent ces jeunes au sein des dispositifs de la protection de l’enfant. Aussi pour commencer cette recherche, j’ai recensé rapidement les notes d’incidents de l’année en cours concernant l’établissement que je dirigeais, sur un seul et unique service, celui de « l’Internat » qui accueille une quinzaine d’adolescents en hébergement collectif ou individuel. Huit jeunes sont concernés par ces notes, c’est-à-dire des faits relevés et rédigés par les professionnels, le plus souvent pour alerter ou signaler. Voici les motifs pour cinq d’entre-deux, les prénoms ont été naturellement changés pour garantir l’anonymat :

  • Hugo cumule 19 notes d’incident pour insultes et menaces envers des adultes et jeunes ; pour non-respect des règles de vie ; pour consommation d’alcool et de stupéfiants ; vol d’argent ; refus de partir en séjour de mise au vert ; mise en danger de par ses fréquentations.
  • Edmond cumule 12 notes d’incident pour insultes et violences verbales envers les adultes et jeunes ; fugues à répétition ; mise en danger sur la route ; vol d’argent et violation de propriété ; tentative d’extorsion du téléphone d’un professionnel ; actes d’humiliation et agression sur un autre jeune ; non-respect du règlement ; mise en danger par ses fréquentations.
  • Pierre cumule 4 notes d’incident pour non-respect du règlement ; consommation de stupéfiants.
  • Sabine cumule 5 notes d’incident pour mise en danger (victime de violences de son petit ami) ; non-respect du règlement ; menace de suicide et actes d’automutilation.

Plusieurs notes ont donné suite à des actions ou poursuites judiciaires, sans pour autant signifier une rupture de l’accompagnement. Cependant, le processus de répétition à l’œuvre dans ces situations peut déjà fragiliser la stabilité du parcours des jeunes au sein du service. Hugo et Edmond ont quant à eux connu un dénouement différent. Accompagnés de leurs fréquentations malavisées, ils ont croisé par inadvertance l’équipe éducative en pause réunion à l’extérieur des bureaux. Cette rencontre a pris un tour dramatique lorsqu’un des individus à soudainement sorti et pointé une arme de poing en direction du personnel. Sur le moment, nous avons peut-être eu moins peur, que nos deux jeunes impliqués. Néanmoins sur le moment, le symbole était fort et cet évènement s’est transformé en une menace à l’encontre du personnel avec des conséquences psychologiques pour tous.

Il important de noter que cet incident est un évènement isolé et ne représente pas l’ensemble des situations rencontrées dans les services de la protection de l’enfant. Ce n’est qu’une réalité parmi tant d’autres. Chaque enfant est unique et chaque situation est singulière. C’est pour cette raison que ce secteur peut être considéré à mon sens comme un lieu d’apprentissage sans pareil où se mêle diversité et incertitude. C’est pourquoi, la prise de décision en cas d’incident grave est souvent difficile pour les responsables car de nombreux arguments doivent être pris en compte.

Dans le cas présent, à ma demande, ce dernier incident a donné lieu à l’arrêt de la prise en charge des deux adolescents par nos services. Il en va de l’intégrité des professionnels et de la sécurité des adolescents qui nous sont confiés. C’est en tout cas, la décision que j’ai prise non pas sans difficulté. Dans ces situations, bon nombre d’arguments remplissent votre esprit en faveur et défaveur de la continuité de l’accompagnement de ces jeunes par le service. Il est question du cadre, autrement dit des règles et des limites, de la gravité de l’acte qu’il soit direct ou indirect, de la protection physique des protagonistes, travailleurs sociaux comme jeunes, de la capacité de maitriser ou non une menace externe. Et soyons honnête, il est aussi question de ma propre responsabilité, celle de directeur, prise en étau entre la probabilité d’un drame à venir et la volonté de ne pas « lâcher » ces deux mineurs. Le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Faut-il parier sur l’éloignement des jeunes de ces mauvaises fréquentations ou parier sur les aptitudes des jeunes à s’éloigner de ces mauvaises personnes ? Alors que ces mineurs nous sont confiés parce qu’ils sont en risque de danger dans leur environnement familial, les voici maintenant en risque de danger dans les composantes de l’environnement institutionnel. Pour reprendre la formule d’Emilie Potin, ces « enfants placés, déplacés, replacés » entrainant des ruptures répétitives de parcours au sein même de la protection de l’enfant, laisse entrevoir ici, un autre déplacement, celui du danger. Il n’existe pas uniquement au sein de la cellule familiale, il est partout, tapi dans l’ombre des institutions, de la société, de vie courante.

Cet exemple démontre bien, comment le parcours d’un jeune peut se terminer en une rupture de l’accompagnement éducatif au sein d’un dispositif de la PDE. L’exception n’étant pas la règle, ce cas de figure ne peut en aucun cas refléter la généralité des situations accompagnées en protection de l’enfant. Cependant à mon grand regret, d’autres situations ont dû être écartées pour ne citer qu’une autre situation, celle d’un mineur de 14 ans souffrant de pyromanie dont ses pulsions le poussaient à allumer des feux à l’extérieur du foyer comme à l’intérieur même de sa chambre. Il n’y a jamais eu d’incendie nécessitant l’intervention des pompiers, et aucunement des usagers ou professionnels en danger, seulement du mobilier noircit. La répétition de ces actes nous conduit à une étroite vigilance et évidemment à consulter un médecin psychiatre, qui me conseillera vivement « de ne pas garder cet enfant au sein d’un collectif car le risque était réel ».

Il faut entendre ici le risque comme une forte probabilité que cette fascination pour le feu produise hypothétiquement un accident. Ces illustrations restent singulières quant aux raisons qui mènent à demander aux services de l’ASE, la réorientation de la mesure sur un autre établissement. Ces décisions ne sont pas pour autant démunies de sentiments qui pèsent sur les travailleurs sociaux, sur les responsables de service et directions. L’espoir, l’attachement, et l’empathie forces vives de l’accompagnement font face aux sentiments d’échec, de peur et de culpabilité lorsqu’il s’interrompt subitement, quelle qu’en soit la cause.

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