Retranscription entretien n°1

Annexe 4 : témoignages

Avec votre accord, je vais démarrer l’enregistrement

Pas de souci

On va peut-être commencer par ça, avant ce séjour de rupture, vous pouvez me dire quelques mots sur votre parcours dans la protection de l’enfance ?

Alors moi, du coup, c’est assez compliqué, je suis une gamine qui a été placée en pouponnière, en fait parce que je n’ai jamais, si maintenant je connais mon histoire…Au début, je ne connaissais pas trop. On m’avait dit que mes parents avaient pété un plomb contre les voisins etc. Mais en fait, ce n’est pas du tout ca. En fait, ce qui s’est passé, c’est que ma mère biologique est schizophrène, déclarée schizophrène. Quand elle était enfant, sa mère l’a maltraitée, elle l’attachait à une chaise, ou à la table et son oncle la violait devant sa mère et sa mère en rigolait. Enfin… elle a vécu des choses assez difficiles. Du coup, elle a eu un premier enfant, ma demi-sœur (Sophie)qui est plus âgée que moi, trois ans, quelque chose comme ça. Ensuite, elle m’a eue, moi. Et en fait, au bout de deux, trois mois, elle s’est rendue compte qu’elle ne pouvait pas s’occuper de nous : c’était trop difficile pour elle, qu’elle ne pouvait pas nous donner ce qu’elle voulait. Donc, elle était déjà suivie par des AS à priori, etc. Un jour, elle s’est pointée là-bas et a dit : « prenez mes filles j’en peux plus ».

Voilà. De là, Sophie, je ne sais pas où elle a été, je ne l’ai vue qu’une seule fois, on a été séparées dès l’enfance, on n’a pas été adoptées ni placées dans la même famille. A priori, on n’avait pas à se voir, d’après les travailleurs sociaux. Je ne sais pas trop. C’est un peu une zone d’ombre pour moi. J’ai été en pouponnière et, à l’âge de 7 mois, j’ai eu une famille d’accueil, ce n’est même pas une famille d’accueil.

Quand je parle de ma maman, c’est celle qui m’adoptée. Ma maman m’a expliquée, il n’y a pas longtemps, parce que je disais famille d’accueil. Non, non, non ! Nous, on n’est pas famille d’accueil. Les familles d’accueil se font payer pour accueillir des enfants. Nous, ce n’est pas le cas du tout, tu as été en parrainage, et si on ne t’a pas adoptée, si on n’a pas pu faire les papiers d’adoption c’est parce que tes parents biologiques avaient 24 mois pour se déclarer ou t’abandonner et, au bout de 23 mois et demi, ils ont dit, non, non, non ! On ne veut pas qu’elle soit adoptée. Du coup, j’étais une gamine inadoptable jusqu’à mes 18 ans où j’ai fait une demande d’adoption simple.

D’accord. C’est vous qui avez fait la demande et du coup, vous êtes restée dans cette famille de parrainage pendant tout votre parcours ?

Oui, de mes 7 mois à ce que je sorte de la maison comme n’importe quel gamin pourrait partir.

Du coup, vous avez eu un parcours dans un séjour de rupture ?

Oui. En fait, mon adolescence a commencé assez tôt, vers les 10-11 ans, quelque chose comme ça, où j’ai commencé complètement à me rebeller contre ma mère. Mon père adoptif, lui, n’était pas présent du tout ; il est parti travailler assez loin, je devais avoir quelque chose comme 7 ans, après, ils ont divorcé. C’était pire que jamais. Mon père adoptif, en gros, j’ai un peu vécu sans père et, du coup, moi, j’étais en rébellion totale comme toute forme d’autorité, mais alors, vraiment beaucoup, quoi ! Je ne supportais pas l’autorité, que ce soit l’autorité parentale, l’autorité des professeurs, n’importe laquelle quoi ! Et du coup, je suis partie un peu en cacahouète, comme on dit. J’ai connu un garçon, je devais avoir 16 ans. Mon premier amour et en fait, j’ai fait…, j’étais enceinte, j’ai fait une fausse couche, je ne savais pas. Mes tests de grossesse étaient négatifs. J’ai vu le fœtus, quoi, à trois mois et demi, c’est déjà formé. Suite à ça, j’ai pété un plomb. J’ai été le soir même à l’hôpital. […]  J’ai rencontré une psychiatre pour adultes qui était très bien. J’ai été deux semaines en pédopsychiatrie. De là, un gars qui travaillait dans le social, qui était chef de service au CCAS sur… Du coup, elle a demandé à ce que j’ai un éducateur et s’il n’y avait pas des séjours de rupture qui pouvaient se faire. Moi, j’étais complètement dans l’opposition. Pour moi, elle voulait juste se débarrasser de moi, donc jusqu’au dernier moment, c’était non,  non, non !

Quand vous dites, que vous étiez dans l’opposition, concrètement ça se traduisait comment ?

Ca se traduisait par des crises, de la violence, par des fugues, par tout ce qu’un ado peut faire. En fait, pour être, vraiment… claire, tout ce que pouvait faire ma mère, je pouvais être dans l’opposition. Quand elle disait blanc, je disais noir. Quand j’étais ado, ma mère est croyante pratiquante, moi, j’étais satanique. Vous voyez ? C’est vraiment tout pour être dans l’opposition constante.

Vous parliez de fugues, vous aviez des conduites…vous vous mettiez en danger ?

Oui. Pas mal de fois où je me suis mise en danger. Je pense que j’ai eu une bonne étoile parce des fois, dans des lieux… mais même par rapport à la prise de drogue ; c’est vrai qu’ado, j’allais souvent dans les « raves party », et qui dit  «  rave party », dit drogue.

Je reviens un peu là-dessus, vous parlez de prise de stupéfiants, de drogue, est-ce que vous avez commis des délits ?

Non, oui, j’ai commis des délits mais je n’ai jamais été inquiétée par la police.

Pour le comportement ? violences verbales ? Physiques ?

Violences verbales, envers ma maman. Violences physiques, non. Je n’ai jamais levé la main sur elle. J’avais toujours eu cette limite-là. Violences physiques à coté, oui. Que ce soit dans la rue ou quoi que ce soit…, je cherchais un peu la petite bête, j’aimais bien me mesurer, quoi !

Sur cette demande de votre maman de faire un séjour de rupture, il y a eu une situation particulière qui a déclenché cette demande.

Oui. Il faut savoir aussi que, pendant un an, tous les jours et sans relâche, je taxais à ma mère, et tous les jours 10 euros pour fumer du shit. Si elle refusait, c’était de la violence. Donc, au final, elle était plus ou moins obligée pour que je lui foute la paix, et que tout se passe bien. Je pense qu’il y a eu aussi, pour elle, dans sa vie à elle, je ne sais pas si on peut appeler cela une décompensation, mais elle a eu un arrêt maladie de 6 mois. En fait, ce n’est vraiment pas pour elle que j’ai fait ce séjour, c’est vraiment pour moi, car, au moment de ma fausse couche, j’étais dans un état mais pitoyable : une ado complètement paumée, qui ne savait pas ce qu’elle voulait faire de sa vie, une zonarde, j’étais complètement perdue.

Suite à la fausse couche, ça a amplifié ces comportements ?

Non. Ni calmé, ni amplifié les choses. Il faudrait peut-être que je parle avec ma mère sur ce genre de chose.

Vous parlez plus d’une accumulation, qu’un fait, qu’une goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Vous ne repérez pas une situation de crise avec votre mère ou d’autres personnes ?

Non, non. Ca toujours été tellement latent, tellement présent, ce refus de l’autorité. Vraiment, ce rapport conflictuel, que je pouvais avoir avec elle…

Quand vous étiez en conflit avec votre mère, par rapport à ses attitudes, est-ce que vous, adolescente, vous auriez eu envie que les réponses, les comportements soient différents. Attendiez-vous quelque chose de précis ?

Honnêtement, je ne sais pas. C’est fou, vous savez, des fois le cerveau fait stop et il y a des choses, des événements importants dont on ne se souvient plus du tout. Il y a  des périodes comme ça, des choses que j’ai pu dire ou faire. Quand on me le rappelle… effectivement. Je ne pense pas attendre quelque chose de spécial.

Aujourd’hui, vous dites que vous avez du mal à vous en souvenir, car vous étiez hors de vous ?

Oui, je pense que c’est ça aussi, quand c’était comme ça, je cassais tout, j’étais une furie. A ce moment là, je me souviens des sentiments que j’avais quand je pouvais rentrer en crise. Je ne ressentais plus rien, ni colère, ni haine, ni amour, ni rien du tout. J’étais vraiment une coquille vide. Mais, par contre, la violence, je me déchainais. Par contre, sans jamais lever la main sur elle. Les seules personnes que j’ai pu frapper, c’était dans les bagarres de rue.

Ce séjour de rupture, étiez-vous partante et comment ça été vécu ?

Comme : dégage de là ! On ne veut plus de toi, en gros ça a été vécu comme ça, entre guillemets, car je savais pertinemment qu’elle faisait cela pour mon bien. Mais je me disais aussi : au moins, comme ça ils seront tranquilles, ils n’auront plus la … qui les embête tous les jours, mais je savais aussi que c’était pour mon bien. Je descendais sur une pente dangereuse, je fumais beaucoup de cannabis ; je passais mes journées à cela, je n’allais plus à l’école non plus. J’ai commencé à décrocher vraiment en 6ème, je dois avoir un niveau fin CM2 ; début 6ème. Après je suis allée jusqu’en 4ème. Mais je n’ai fait que redoubler. A l’école, j’étais un cancre, je préférais faire rire tout le monde, provoquer les professeurs, plutôt que de suivre. Après par contre, et j’ai pu le vérifier moi-même, dès que je me remettais à lire un cours le soir, le lendemain, si on avait un devoir, j’avais de très bonnes notes. J’avais de grandes capacités que je n’ai jamais vraiment exploitées. A part en histoire, dans les matières que j’appréciais.

A l’école, c’était le même type d’attitude d’opposition aux professeurs ?

Oui, oui, oui. Complètement.