Suite retranscription entretien n°1

Annexe 4

Avec les camarades, c’était plutôt des relations positives ? Négatives ? Qui vous entrainiez ?

Non, non, plutôt positives. J’avais un an de plus, et c’est plus moi qui les entrainais. J’étais plutôt une meneuse qu’une suiveuse.

Alors, dites-moi, ce séjour de rupture, vous êtes partie où ça ?

Je suis partie au Mali, je devais partir un moi et demi.

D’autres jeunes avec vous ?

En fait, on est à 5 jeunes en France pendant 5 semaines, je crois. Si mes souvenirs sont bons. Ensuite, si tout se passe bien, s’ils nous sentent aptes à vivre ça, on part un an et demi, soit au Mali, soit au Burkina. Moi, ça s’est arrêté sur le mali.

Ces mois ? Quels souvenirs vous en avez ?

 Pas très bons, car effectivement, avec un des jeunes, ça s’est mal passé. Si vous en parlez à … ou… ; ils s’en souviendront. Par contre, le jour J où nous étions tous dans l’avion, je ne sais pas pourquoi, on s’est bécotés. Vraiment, d’un extrême à un autre ! Donc, bien passé, oui et non, mitigé.

Vous avez fait quoi pendant toute cette période ?

On est deux semaines tranquilles, et après 4 semaines de stage à effectuer ; c’était à nous de les trouver.

Vous aviez trouvé quoi, comme stage, vous ?

Dans un centre équestre et il me semble que c’est deux stages. Oui, dans un centre équestre et ça n’existe plus maintenant, un monsieur qui faisait et qui recadrait des gamins pour la fabrication de jouets en bois. En fait EB bossait avec eux, ils emmenaient les jeunes là-bas pour fabriquer et offrir les jouets en bois pour nos familles africaines. En fait, j’ai tellement aimé, ça s’est tellement bien passé avec l’animateur que j’ai fait un stage chez lui là-bas. C’était vraiment génial.

Quand vous êtes partie au mali, sur place, quels supports, quelles activités vous avez menées ?

Pas vraiment des activités, dans mes souvenirs on a un voyage « explo » à faire. C’est un voyage assez long dans lequel on dépasse ses limites. Moi, malheureusement, j’étais en chemin pour le faire et ça s’est arrêté de suite car je suis une personne qui regarde beaucoup autour de soi, ne fait pas trop attention. On m’a dit de mettre des baskets et je n’en faisais qu’à ma tête, et j’ai mis des claquettes. Il y avait une taule de toit parterre et cela m’a valu 5 points de sutures aux orteils. En Afrique, on ne se ballade pas trop partout avec ce genre de blessure. Du coup, il a fallu m’emmener à l’hôpital, acheter tout le matériel, me recoudre, alors le voyage « explo », non ! Trop dangereux par rapport aux microbes là-bas. Ils m’ont recousue et je suis repartie aussitôt. Je suis restée au mali, hors de question pour moi que je rentre en France.

Et pendant que les autres faisaient leur voyage « explo », que faisiez-vous ?

Une fois au mali, on est tous ensemble, dans le même avion, et minibus et ensuite, chacun à notre tour, on est emmené dans notre famille et pendant tout le séjour on ne se revoit plus, on ne se téléphone plus. On n’a plus aucun contact. Moi, j’ai eu la chance de croiser un autre jeune, sinon, on a interdiction de se voir entre jeunes. Ce qu’ils ont fait, je n’en ai aucune idée.

Qu’avez-vous fait alors au Mali, malgré votre blessure ?

Ca ne m’a pas empêché de faire des choses. On a aussi des stages à effectuer, trois ou quatre semaines. Du coup, je n’ai pas voulu servir a rien, j’ai fait 5 mois dans une pouponnière de Bamako ; vous me demanderiez d’y retourner aujourd’hui, je ne suis pas sûre d’avoir le cran de le refaire !

Pourquoi ?

Il y avait trois infirmières qui étaient présentes aussi pour un stage de trois semaines, infirmières de Paris. Au bout de trente jours, elles sont reparties car elles ne supportaient pas les morts infantiles. Il y  avait aussi un service pour enfants handicapés, de les voir comme ça, elles ne supportaient pas la pauvreté en fait, en somme. Moi, j’ai vu pas mal de morts. Je me souviens d’une gamine qui est arrivée, elle avait été enfermée dans un carton, elle avait été bouffée par les insectes, elle était blessée sur tout le corps, et me dit « tiens, tu es française, tu t’en occupes », et moi, je n’ai que 16 ans, je ne sais pas comment faire ! Je ne suis pas docteur, ni infirmière. Ils m’ont donné les consignes à suivre que j’ai suivies à la lettre. Et 4 jours après, j’étais en train de lui donner son biberon et elle s’est endormie ; très bien si elle s’endort ; mais elle ne s’est pas endormie, elle est morte dans mes bras. Et j’en ai eu 4 comme ça ! Sur le coup, ça fait quelque chose, je ne suis pas inhumaine, ça m’a impactée sur le coup même. Mais il y a tellement d’enfants et de bébés à s’occuper qu’on n’a pas le temps de pleurer. J’ai pris une claque en rentrant en France, 5-6 mois après. Tu as vécu la mort, des morts de nourrissons qui n’ont pas eu d’aide.  Je me souviens d’un gamin qui était prématuré, un peu plus de 2 mois, sauf qu’il n’y a pas de couveuse là-bas. Le gamin avait le visage mal formé, il ressemblait vraiment, vous voyez les logos sur les bouteilles de poisons, il avait vraiment ce visage-là, c’est impressionnant à voir. Le gamin a vécu trois semaines et tout cela parce qu’il n’y a pas de couveuse.

Donc principalement au Mali, vous avez aidé des familles et des enfants ?

Oui, 5 mois de ma vie en Afrique. J’ai toujours voulu faire de l’humanitaire, j’étais toujours été attirée par cela.  Profites-en pour aider, autant ; Je me suis dit autant que ça serve à quelque chose.

Pourquoi vous avez réussi à faire cela au Mali, mets-toi au boulot ! C’est l’occasion ! Et qu’en France, vous n’y arriviez pas ?

Aucune idée, en France quand j’étais ado, je connaissais tout. Il n’y avait pas de découverte, j’étais complètement dans l’opposition, je ne savais pas à quoi ça servait d’aller bosser. Je ne saurai pas expliquer, mais c’est vrai qu’au niveau de l’autorité, j’ai appris à obéir à quelqu’un et c’est la première fois, je dirai au doigt et à l’œil, à mon grand frère éducateur.

Et vous comprenez pourquoi, vous n’étiez plus dans cette opposition ?

Je pense vraiment par rapport au respect que les gens ont là-bas. C’est quelque chose que j’ai toujours, si on ramenait le quart du respect que les gens ont entres-eux,  en France, ça changerait vraiment la face de la France.

C’est ce changement de culture au final qui… dans laquelle vous vous êtes impliquée, parce que, c’est comme ça que ça fonctionnait.

Oui, c’est ça.

Et vous ressentez en France plus de l’irrespect ?

Plus maintenant, mais c’est vrai qu’à l’époque, c’était ça. Au niveau de l’Afrique, on m’a dit que j’étais devenue une vraie africaine. Je me suis vraiment impliquée, pour moi c’était normal. Je faisais de la cuisine avec les femmes, le linge qu’il fallait laver tous les jeudis. Les femmes commençaient à 5h du matin et terminaient à 17h. Au début, je ne tenais pas autant qu’elles. Mais, petit à petit, je tenais de plus en plus. Laver les gamins sur le bord de la route, je faisais aussi. Je faisais comme les femmes africaines. Pour moi, ça me semblait naturel de le faire. Là-bas, ils étaient tous, pas ébahis, ni impressionnés, mais ne s’attendaient pas qu’une jeune de ….. s’investisse ainsi.

Du coup, vous aviez dit tout à l’heure que vous ne vouliez pas retourner en France, c’est quoi qui vous retenait ? Avec une blessure, vous auriez pu repartir ?

Je sais, tout se passait bien, ce qui est vraiment bizarre, je pense que c’est aussi l’adolescence qui veut ça, mais la personne qui m’a le plus manquée, c’est ma meilleure amie. De toute façon, je ne pouvais pas rester car j’allais atteindre l’âge de 18 ans. J’étais obligée de rentrer. Mais si je pouvais renouveler… J’ai renouvelé plusieurs fois, je suis restée 7 mois là-bas.

Une fois revenue en France, j’imagine, un petit coup de nostalgie ? De transition qui ne devait pas être facile ?

Horrible, ne serait-ce d’abord que visuellement parlant. Que ce soit hommes ou femmes, là-bas, ils sont habillés en couleur. Le retour a été très dur, le retour en France et je ne suis pas restée d’ailleurs longtemps, en France. Je suis restée 1 mois et je suis partie 4 mois dans un orphelinat en Roumanie, car justement je ne supportais pas ce retour en France.

Ou parce que vous aviez peut-être envie de renouveler aussi votre expérience, votre envie de travailler dans l’humanitaire ?

Oui, et si vous voulez, mon père s’est remarié avec une roumaine qui avait déjà travaillé dans l’orphelinat où je suis allée travailler. Mon père le faisait régulièrement, dans les magasins de sport, il récupérait dans les magasins de sports, tous les habits qui étaient invendables. Il avait trois ou quatre magasins où il récupérait des habits toutes les semaines, des parties de vélos, pour ramener en Roumanie. Je me souviens quand on est partis, il y avait sur 5 rangées de sièges, c’était rempli de dons pour cet orphelinat.

C’est leurs relations qui vous ont permis de repartir rapidement ? Et c’est quoi qui vous paraissait insupportable en France ?

C’est le fait de retrouver ma petite vie, mon petit train-train, me rendre compte, que je n’ai rien, que je ne fais rien,  le fait de me sentir utile. Oui, le fait de retrouver mon petit train-train.

Vous avez très peu de temps entre le Mali et la Roumanie, et pendant cette période, vous avez eu encore des conduites à risque ?

En tous cas, au niveau du cannabis, non, car là-bas, j’ai trouvé quelqu’un qui fume du cannabis, et pourtant au Mali, la personne qui fume du cannabis, c’est un paria. Il y a un quartier à Bamako, pour les maliens, c’est un quartier sale, où il ne faut pas aller, parce que les fumeurs de cannabis, c’est des vauriens, des malfrats, contrairement à ce qu’on pense, ce n’est pas du tout, ce n’est pas bien vu. Du coup, j’étais dehors à fumer ma cigarette. Il y a un des jeunes de la famille qui est rentré, les yeux tout rouges, je lui ai demandé s’il fumait du cannabis, il m’a répondu non, non. Mais je l’ai embêté pendant trois semaines, et il a fini par avouer m’en donner. J’ai fumé là-bas dans les toilettes, très, très, vite parce que j’avais peur qu’on sente. Ce n’est pas du tout le même cannabis qu’on peut trouver en France et, du coup, j’ai eu un gros « bad trip ». Je revoyais tous les jours que j’ai passés depuis plusieurs semaines. Un énorme « bad trip », j’ai réessayé de fumer en France, mais c’est impossible. Même à l’heure d’aujourd’hui, si je fume quelques bouffées, je vais commencer à partir en parano, je « psychote », c’est dans la tête,  c’est psychologique, je ne veux plus ! C’est terminé, j’ai arrêté finalement.

Et ce « bad trip », vous en aviez échangé avec votre éducateur au Mali ?

Je ne me souviens plus.

Du coup au Mali, est-ce qu’il y avait des choses compliquées, en dehors du stage, et de la souffrance, mais à l’intérieur de vous ?

Après vous parlez de souffrance, mais je retiens plus de positif que de négatif. Même au sein de la pouponnière, j’ai vécu ce que j’ai vécu là-bas. C’est de choses lambda au sein de la pouponnière. La directrice, pendant que j’étais là-bas, est en prison, pour maltraitance, détournements de fond… et je ne sais plus quoi d’autres. La pouponnière était très mal tenue. Les employés se servaient d’abord, avant de donner aux enfants. Après, au sein de la pouponnière, j’ai vécu des choses extraordinaires : on eu une gamine qui avait 7 mois, qui a perdu un peu plus d’un kilo, à 7 mois, c’est inadmissible, les enfants à cet âge-là grossissent plus qu’ils ne maigrissent…..

Cette expérience de séjour, quel sentiment avez-vous eu ? Vous saviez c’était nécessaire ? Comment vous percevez ce mot rupture ? Nous, professionnels, on s’interroge à savoir si nous devons les éviter ces séjours. Pour vous ?

Ca dépend de chacun. Moi, séjour de rupture, je n’ai pas vraiment entendu et perçu ce mot-là. Moi, j’ai entendu plutôt que, tu allais en Afrique, un pays où tu rêves d’aller. Vraiment. Ca dépend tout à chacun, on est tous différent face à des mots.

Nous, on se concentre sur des mots qui…

Du coté professionnel, oui, moi, je comprends car je suis AMP. Alors, je comprends.

Aujourd’hui, le recul sur cette expérience ?

Je suis revenue en 2005, ça fait 15 ans. Quelques années…

Vous considérez ce séjour comme un apport fondamental ?

Ça a changé ma vie, du tout au tout. Je me suis plus aperçue, enfin, je me suis rendue compte de l’importance de la famille, du respect. Plein de petits éléments qui ont fait que ma vie n’est plus du tout la même aujourd’hui, et, qu’heureusement j’ai eu ce séjour de rupture. Ça m’a aidée aussi à créer une rupture complète avec des, comment dirais-je ? Je prends bien ce mot rupture, avec ces fréquentations qui n’étaient pas du tout les bonnes. Et à l’heure d’aujourd’hui, si c’était à refaire, je le referai sans hésiter.

J’aimerai revenir sur « quoi que vous fassiez, en face, ce n’était pas la peine… ». Ces adolescents qui se mettent en danger, sur la violence, le défi à l’autorité, vous ne voyez pas du tout d’éléments, aux personnes autour de comprendre ce qu’il faut faire ou ne pas faire ?

Ca dépend de tout à chacun. Je ne sais pas du tout. Je sais que, dans ces moments-là,  j’étais quelqu’un qui provoquait tout le temps, tout le temps, tout le temps ! C’est sûr qu’il ne fallait pas me répondre dans la provocation non plus !

Vous en parliez, de ces comportements, avec vos amis, votre meilleure amie, vos amis, de vos crises, vos colères, vos oppositions avec votre mère ?

Oui, oui, oui. Elle, à l’époque, était aussi dans l’opposition avec sa mère, on était un peu dans le même bateau. Moi, je me suis fait virer de ce collège, et, un an et demi après, on s’est retrouvées dans le même internat. On faisait les quatre cent coups ensemble, on fuguait ensemble, on fumait du cannabis ensemble. On se disputait, elle, et moi, pour qui allait sortir dehors acheter des cigarettes, parce qu’on était devenu complètement agoraphobes. Pour nous, sortir acheter des cigarettes, c’était une vraie mission, en plein été, on portait des pulls et des pantalons larges pour se cacher. Cette année-là, c’était pas mal l’enfer quand même.

Vous avez encore des liens avec elle ?

Non plus aucun. Il y a plusieurs années, elle n’a pas fait de séjour de rupture et quand je suis revenue, il n’y avait pas un fossé, mais des choses que j’avais comprises, cela a créé une sorte de distance, et on a pris des choix complètement opposés. Elle est anorexique très, très, fort, elle boit et fume pas mal de cannabis. Moi, c’est des choses qui ne m’intéressent plus, aujourd’hui. On a eu une grosse dispute. Les défauts qu’on ne supporte pas chez les amis, c’est pile les défauts qu’on a nous-même, c’est l’effet miroir. Je n’explique pas : il y a quelques mois, on a tenté de prendre contact, mais, définitivement, on n’est pas sur la même longueur d’onde. Ça restera une personne que j’aurai toujours dans mon cœur, ça a été ma meilleure amie pendant quelques années.

Vous pensez que le séjour de rupture est un outil pour les adolescents en déperdition, excusez-moi du terme, qui ne sont pas bien ?

Oui, oui. Ça peut être indispensable. Si je n’avais pas eu le séjour, soit  je serais morte avec une seringue dans le bras, soit je serais sur le trottoir pour avoir ma dose, ou soit en prison peut être. Et je pense tout ça par rapport à la drogue, car j’ai jamais été une délinquante, j’ai jamais été arrêtée par la police. Je pense que je me serais fait du mal à moi-même, à l’adolescence, pas mal de scarifications, je pense que j’aurais sombré dans la drogue. C’est une belle méthode de fuite, on ne ressent plus rien. C’est vachement pratique pour ça, c’est une belle méthode de fuite !

Maintenant que vous êtes adulte, vous revoyez votre parcours, si vous avez un message à transmettre aux professionnels, aux familles d’accueil, de parrainage, qui sont face à ces adolescents …

Moi, j’ai été confrontée à ça. C’est que face aux professionnels, tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas comprendre. En gros, les professionnels disent : oui, je comprends… Non ! Tu ne peux pas comprendre, tu ne l’as pas vécu ! Et ça, c’est des choses en tous cas adolescente, pour moi et d’autres gamins, que je pouvais côtoyer. C’était ça. Il croit tout savoir parce qu’il travaille là-dedans, parce qu’il est éducateur… non, il ne sait pas. Peut-être plus, faire plus d’interventions avec des jeunes comme moi, qui ont fait des séjours de rupture, qui sont revenus et qui ont une vie maintenant. Faire plus de rencontres, moi, ce qui m’a manqué, c’est d’avoir des rencontres avec des anciens. Et dès que j’ai eu l’occasion, c’est ce que j’ai fait pour …… J’ai été invitée pour les 10 ans d’EB et j’ai rencontré deux, trois jeunes.  A l’époque, je voulais faire AMP, ME et ES mais, du coup, je suis passée sur autre chose, mais à EB, on m’avait proposé de monter un projet éducatif et leur proposer.

Petite parenthèse pour finir, vous avez été exclue d’un établissement scolaire ?

Oui, j’ai été dans 4 établissements scolaires, et j’étais fière, contente. C’est un galon à cet âge-là, dans la mentalité que j’étais. Je n’en suis pas fière maintenant, mais j’en souris. Je n’étais pas méchante, j’empêchais de suivre les cours, mais je n’ai jamais été mauvaise.