Toujours dans mes fonctions de directeur, j’avais négocié un CPOM (Contrat annuel d’objectifs et de moyens) avec le département dont la diversification de l’offre de service de l’établissement avait pour objectif d’apporter d’autres réponses pertinentes sous forme de dispositifs complémentaires, voire inédits. Les réponses favorables à deux appels à projet sont venues complétées l’offre de service.
Au total, je recensais neuf services d’accompagnement de mineurs et jeunes majeurs :
- SAPMN : service d’adaptation progressive en milieu naturel (placement ordonné par le juge des enfants au sein même du domicile parental) ;
- SASEP : service d’accompagnement social et éducatif de proximité (mesure administrative à partir du domicile parental) ;
- INTERNAT : placement au sein d’un collectif et appartements individuels ou en colocation ;
- GRANDS MINEURS : accompagnement à partir d’appartements individuels ou en colocation
- SSE : Service extérieur assurant l’accompagnement ;
- ATELIERS : accueil de jour (sous forme d’ateliers de remobilisation scolaire, professionnels et sociales)
- SII : service d’intervention immédiate (évaluation et accompagnement de transition des situations d’urgence suite à une OPP) ;
- Accueil d’urgence : places réservées à des situations d’urgence au sein de l’Internat disponibles 24/24 heures.
- MNA : service d’accompagnement des mineurs non accompagnés.
Malheureusement, ces différentes modalités d’accompagnement ne résolvaient pas le problème des conduites de ces adolescents, et par conséquent n’empêchaient pas les ruptures d’accompagnement au sein d’un service. Nous pouvions toutefois moduler la prise en charge par le passage de l’enfant ou de l’adolescent entre les différents services pour adapter son accompagnement. La transversalité interservices était donc de mise, pour assurer la continuité d’accueil au sein du même établissement, à défaut d’une continuité de prise en charge sur un unique service.
Ce constat pourrait venir affirmer la thèse des Etats Généraux, celle de sortir d’une logique de dispositif, si nous ne prenions en considération que la forme au détriment du fond. Parce qu’un dispositif est en définitive qu’un système dans lequel évolue des acteurs. Pour un même dispositif, nous trouverons des manières différentes de procéder et d’agir, avec pour chacun ses propres valeurs et ses propres règles. Et même si les finalités sont communes pour un service par exemple d’AEMO, les objectifs diffèrent sur le plan opérationnel selon l’histoire, le territoire, la culture, le savoir-faire et d’autres caractères strictement liés à la « personnalité » de la structure. J’ai souvenir d’une rencontre avec le substitut du procureur qui ne comprenait pas l’intérêt du service SII. Nous étions confrontés à un refus de placement de la part d’un jeune. L’équipe éducative avait tenté à maintes reprises d’intégrer au sein d’un collectif le mineur farouchement opposé à la mesure. Mais dans l’heure qui suivait, l’adolescent fuyait du service et la fugue était déclarée. Nous avions donc décidé de continuer la mesure à partir de la réalité du jeune, celle de la rue, des squats, de l’errance. Repas, argent, écoute, propositions, chaleur humaine étaient nos prérogatives. Peut-être que doucement, nous arriverions à établir suffisamment de confiance, de lien, pour lui faire accepter de manière temporaire ou permanente un abri collectif ou individuel sur l’un de nos dispositifs. Notre présence visait aussi à le sortir des petits larcins commis pour subvenir à ses besoins et éviter qu’il ne sombre dans la toxicomanie. Toutefois, ces objectifs ne correspondaient à l’objectif principal de placement attendu dans l’ordonnance de justice.
De plus, le modèle de la PDE repose sur un clivage entre la justice des mineurs qui sont victimes, et celle des mineurs délinquants. Ainsi, des « logiques binaires vont jusqu’à influencer même notre perception des phénomènes sociaux : s’agissant d’adolescents, il y aurait les victimes d’un côté et les délinquants de l’autre [1]». Cette représentation reste d’autant plus complexe à gérer lorsque les structures relèvent d’une double habilitation, à la fois de l’enfance en danger sur le plan civil et à la fois de l’enfance délinquante sur le plan pénal.
Au sein d’un même service, différentes problématiques peuvent alors se juxtaposer, ce, à l’aube de l’abrogation de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, pour laisser place au code de la justice pénale des mineurs. Dès lors, nous pouvons interroger l’impact des représentations professionnelles ainsi que le modèle organisationnel de la PDE quant à l’accompagnement des mineurs dits « incasables » à la fois victimes et délinquants. Derrière le droit de l’enfant et de l’adolescent, qu’il soit civil ou pénal, se cache une autre réalité, celle de la responsabilité de l’état ou de l’établissement privé. La situation du jeune homme décrite précédemment implique certes une notion de risque pour lui-même, mais aussi pour les professionnels du secteur social et médico-social. Entre risque et responsabilité, les institutions privées et publiques font face aux limites de l’accompagnement qui parfois mènent à l’engendrement de drames au sein des services de la protection de l’enfance.
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[1] Dérivois, Daniel. Les adolescents victimes/délinquants. Observer, écouter, comprendre, accompagner. Paris : De Boeck, 2015, page 29
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