Isabelle explique qu’elle « vécu sans père et, du coup, moi, j’étais en rébellion totale comme toute forme d’autorité, mais alors, vraiment beaucoup, quoi ! Je ne supportais pas l’autorité, que ce soit l’autorité parentale, l’autorité des professeurs, n’importe laquelle quoi ! Et du coup, je suis partie un peu en cacahouète, comme on dit ». Cette opposition « se traduisait par des crises, de la violence, par des fugues, par tout ce qu’un ado peut faire ». Elle précise que, suite à une fausse couche, « j’ai vu le fœtus, quoi, à trois mois et demi, c’est déjà formé. Suite à ça, j’ai pété un plomb. J’ai été le soir même à l’hôpital. […] J’ai rencontré une psychiatre pour adultes qui était très bien. J’ai été deux semaines en pédopsychiatrie ». « Elle a demandé à ce que j’ai un éducateur et s’il n’y avait pas des séjours de rupture qui pouvaient se faire. Moi, j’étais complètement dans l’opposition. Pour moi, elle voulait juste se débarrasser de moi, donc, jusqu’au dernier moment, c’était non, non, non ! »
Nous retrouvons des comportements de violences et de fugues répétitifs. Mais également des circonstances qui ont constitué l’élément déclencheur de la demande de séjour de rupture. On peut y voir une gestion de crise au vu de la gravité de la situation. Le séjour de rupture est donc considéré comme une réponse à la crise qui « est une désorganisation des réseaux d’acteurs dont l’antidote est l’organisation d’urgence de réseaux d’acteurs[1] ».
Sur le plan cindynique, à défaut d’enrayer les conduites à risque, l’organisation du réseau se maintient, là, grâce à la réponse, souvent ultime, du séjour de rupture. Nous ne pouvons pas souligner de disjonction ou déficit sur la gestion de crise dans ce cas précis. Il est toutefois possible d’interroger les règles (déontologie) qui veulent que le séjour de rupture soit souvent renvoyé en dernière réponse, après maintes tentatives d’accompagnements dans les dispositifs dits classiques.
Béatrice décrit qu’elle était « rebelle parce que j’étais un peu délinquante dû à justement ces viols répétés […] j’étais une branleuse, j’ai commis des petits actes mais sans gravité, j’ai volé, j’étais insolente, j’étais agressive, j’en avais contre tout le monde, la terre entière, la police, la justice…tout ce qu’on veut ». L’agressivité, « c’était plutôt verbal. Oui, verbal envers les profs […] c’était beaucoup d’insultes […] On m’a dit que voilà, vous ferez en gros une cure avec le quartier, avec votre maison, avec le passé, avec tout ce qui s’est passé… un break avec ton environnement ».
Dans ce cas, délits et violences verbales sont repérés comme comportements à risque. Le séjour est une réponse pour couper d’un environnement considéré dangereux. Il n’y a pas, ici, de gestion d’urgence ou de crise, mais plutôt une tentative de neutraliser les conduites par l’éloignement d’un milieu jugé cindynogène.
Pour Pascal « ce qui a motivé le séjour, j’avais le choix, soit c’était le séjour, soit c’était la prison. Le juge a dit, écoutez, soit vous partez en séjour… Pas de violence, aucune violence, je n’ai jamais été violent. C’était beaucoup d’alcool, sous l’alcool, c’était vols de bagnoles, vols dans les magasins, on était tous une petite bande sereine, des petits branleurs, des petits cons, quoi. On ne faisait pas de mal aux gens mais quand on voulait aller en soirée, on trouvait toujours une solution ». Il précise que juste avant le séjour de rupture, au CER, ça se passait « très mal, très mal… Je me suis battu avec un éducateur, car il me faisait la morale, […] et un soir je me suis battu avec lui […] en fait, c’était un professeur qui fait de la menuiserie, je lui ai dit : votre cours ça ne m’intéresse pas, c’est de la merde ; moi, je parlais crûment à l’époque. Je lui ai dit que c’était un gros con, ça ne lui a pas plu et c’est parti en clash ».
Addiction (alcool) et délits (vols) constituent le cocktail des principaux comportements à risque. Le séjour est proposé comme une alternative à la prison. Il est déclenché cette fois-ci par des faits de violences physiques. Une nouvelle situation de crise qui peut s’expliquer là, au sens cindynique, par des « déficits managériaux » :
- L’absence de préparation aux situations de crise. Opposition et violence décrites de manière prégnante mettent souvent les professionnels en échec. Leurs valeurs, leurs réponses, leurs interactions, viennent interroger la cohérence des hyperespaces de valeurs (axiologie), de règles (déontologie), de finalité (téléologie).
- L’absence de formation du personnel aux cindyniques. Que ce soit les responsables territoriaux ou de service, magistrats, directeurs, travailleurs sociaux, cette science n’est proposée ni dans les formations qualifiantes ni en interne.
Bernard a « fait pas mal de bêtises […], des cambriolages, j’ai fait des casses, je me suis drogué, j’ai bu, volé dans les magasins, la violence aussi. Je tapais mes frères et sœurs, mes parents […] Oui, des insultes, des menaces, ça pouvait aller jusqu’aux menaces de mort… envers les jeunes et les professionnels, envers tout le monde ». Il précise que « Déjà, il y a eu une accumulation de tout. Et, j’ai eu une rupture amoureuse, et de là, je suis vraiment parti en vrille ; c’était soit ça (le séjour de rupture), soit je me serais tué en me faisant mal […] C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Suite à ça, je suis parti vrille et le problème c’est que j’avais une capacité à me faire mal, pour ne pas aller travailler j’étais prêt à me casser la jambe. Je me suis cassé le genou… ».
- Délits (vols, cambriolages), drogues et alcool, violences verbales et physiques sont les principales prises de risques que Bernard évoque. Une rupture amoureuse enclenche ce phénomène d’escalade qui débouche sur un nouveau risque, cette fois envers lui-même, et motive le séjour de rupture. Même s’il est également présent dans les autres situations décrites, l’intense aspect cumulatif caractérise cet entretien.
Illustration pertinente de ce que nous qualifions « situation complexe » par le fait de conduites à risques multiples qui doivent être ainsi appréhendées, dans toute leur complexité. Sur le plan cindynique, le déficit culturel englobe :
- La « culture du simplisme » où les raisonnements sont parfois scindés, clivés. L’expression utilisée pour pointer parfois la négation de la complexité est forte. L’analyse par champ disciplinaire peut conduire à simplifier, réduire ou découper, par leur seule approche, la question du danger. Nous pouvons tout autant l’attribuer à une situation définie comme ici, mais aussi le transposer à l’échelle de la complexité des organisations, c’est-à-dire le réseau d’acteurs.
Pour Françoise, « c’est un moment de ma vie où je fuguais, où je me disputais beaucoup avec les autres filles du foyer, parce que c’était un foyer seulement pour filles donc c’est pour ça et vu qu’il (mon père) était au courant de tout ça, et qu’il venait me chercher ; et ça se passait toujours très mal donc je revenais très vite au foyer […] On était un foyer de tellement de filles que c’est normal qu’il y ait des tensions et tout ça». Elle souligne qu’elle « partait la soirée, je séchais les cours et puis j’ai fugué jusqu’à Paris pendant plusieurs jours avec une autre fille du foyer […] c’était des fugues et les violences physiques et verbales envers les autres jeunes et professionnels ».
Fugues à répétition, violences verbales et physiques sont présents dans les comportements de Françoise. Elle évoque le phénomène du collectif de filles pour expliquer ses comportements.
Sur le plan cindynique, les objectifs entre l’institution et le père sont antagonistes (téléologie). Nous avons déjà évoqué cette défiance entre les acteurs dans la situation de Bernard.
[1] Kerven G.Y, Boulenger P, op .cit, p.49