5.    La mise en application des cindyniques

5.1   Elaborer une description du système d’organisation

Les fondations des cindyniques étant posées, elles doivent maintenant être appliquées. Le propos ne vise pas à poser un protocole formalisé, mais plutôt d’en reprendre les grands principes pour les expliciter dans la situation des « mineurs en risque de danger ».  Les grandes étapes sont définies par G.Y Kerven et Philippe Boulenger :

Historique : étudier l’histoire, les origines, les transformations dans le temps, l’évolution de ses réseaux, les liens internes et externes. Les projets (associatifs, d’établissements ou de service) offrent souvent une traçabilité de l’histoire. On y retrouve aussi les valeurs propres à l’organisation (Axiologique). Ce travail permet aussi de cerner les premiers déficits systémiques cindynogènes le plus souvent liés à des évènements déstabilisant le système.

Environnement : Etudier les interactions avec son milieu. C’est ce que nous nommons plus généralement les partenaires par exemple, cadre familial, personnes ressources, association de prévention, ou un autre service… pour mettre à jour des déficits des réseaux sur les espaces téléologique (finalité) et déontologique (règles).

Organigramme : Repérer les réseaux officiels, privés, publics, administratifs, par exemple les dispositifs de santé, de droits communs ou externalisation d’une activité par un prestataire.

Carte décisionnelle : elle est à différencier de l’organigramme par sa fonction de décision. Nous pouvons y inclure les représentants légaux, mandataires, administrateurs, l’ASE, la PJJ ; toutes les instances décisionnaires.

Processus : Analyser les modes de fonctionnement, les processus de veille, de décision, de concertation. Dans notre situation, les processus relèvent aussi de l’éducatif, du thérapeutique, et doivent être considérés pour actualiser l’espace statistique (faits), alimenter l’épistémique (modèle).

Regards : le croisement des regards est important pour valider et compléter la description d’un système.

L’ensemble de ce travail est mené à partir de l’étude de documents (projets, règlement de fonctionnement, notes de service, protocoles, organigramme, fiches de poste…etc.). Et en parallèle, des concertations avec les professionnels et usagers sont indispensables pour aborder la ou les situations cindyniques problématiques. Il faut donc ausculter l’organisation à travers ses codes, ses langages, son éthique, ses pratiques.

5.2 Définir la situation cindynique

La méthode consiste, sur la base d’une situation cindynique (violence, fugue, addiction…), à repérer les écarts dans l’hyperespace du danger selon le déroulé suivant :

  1. Repérer les déficits systémiques cindynogènes
  2. Elaborer et étudier les hyperespaces associés aux réseaux
  3. Etablir la matrice des déficits
  4. Etablir la matrice des dissonances
  5. Déduire des actions de réduction des déficits et dissonances

Nous pouvons maintenant tenter d’établir une matrice rapide à partir des éléments repérés sur le questionnaire auprès des professionnels et les entretiens avec le public.

MATRICEStatistique (S)Epistémique (E)Téléologie (T)Déontologie (D)Axiologie (A)
Les chiffres Les notes Le traitement des données Les instances de réflexionLe modèle d’intervention La composition L’organigramme La gestion pré et post criseLes finalités Les objectifs  éducatifs, sociaux, familiaux Les décisionsLes lois Les réglementations Les règles Les réponsesLes valeurs éducatives  Les valeurs institutionnelles Les représentations  
Déficits cindynogènesPas de base de donnéesAbsence d’instances de gestion de criseLes risques ne sont pas explicités au jeuneRèglement de fonctionnement ne fait pas référenceTurn-over des professionnels, perte des valeurs
Lacunes et Disjonctions  E  T  D  A  S  T  D  A  S  E  D  A  S  E  T  S  T  E  D
Analyse des lacunes de l’hyperespace    Axiologique : les valeurs éducatives ne sont pas explicitées dans le projet de serviceTéléologique : les objectifs de l’intervention restent floue (PPE, et PP)Déontologique : le règlement de fonctionnement n’est pas communiqué au publicEpistémique : le réseau partenarial n’est pas formaliséStatistique : absence d’outils de reporting sur la gestion des crises  
Analyse des disjonctions    Téléologique/Axiologique : la décision de placement a seulement déplacé le dangerTéléologique/Déontologique : les règles ne permettent pas d’apporter un cadre éducatif stableTéléologique/Epistémique : les incidents sont repris en équipe mais de manière cloisonnéeTéléologique/Statistiques : Les phénomènes de violences à l’encontre des professionnels ne sont traités que sous l’angle de la sanctionAxiologique/Déontologique : Une perte des valeurs communes par des mouvements du personnelAxiologique/Epistémique : Chaque service possède une représentation spécifique des phénomènes de risque, absence de pilotageAxiologie/Statistique : l’étude des incidents ne fait pas échos auprès des professionnelsEpistémique/Statistique : pas de mesure des risques en termes de probabilité et gravité, absence de cindynométrie  
DEFICITS
CulturelsSimplisme (DC1)Non-communication (DC2)Nombriliste (DC3)Infaillibilité (DC4)
(DC1) Le danger est relayé au simple fait des comportements des jeunes (DC2) Passages de relais très court entre les prises de service (DC3) Les rencontres avec les partenaires sont aléatoires (DC4) Le danger est repéré mais relève des responsabilités de l’ASE
OrganisationnelsIntervention (DO5)*Responsabilités (DO6)
(DO5) Le rythme des interventions ne permet pas de soigner les nouvelles entrées des jeunes (DO6) les responsabilités des incidents se rejettent en interne  entre l’encadrement et les équipes et en externe sur l’ASE
ManagériauxRetour d’expérience (DM7)Procédure écrite (DM8)Formation (DM9)Préparation aux crises (DM10)
(DM7) L’établissement ne possède pas d’instance  ou de système de retour d’expérience (DM8) Il n’existe pas de procédure écrite pour la gestion des crises (DM9) Le plan de formation n’intègre pas la notion de gestion de risque. Le personnel n’est pas formé aux cindyniques (DM10) Absence d’exercice de gestion des crises ou de mise en situation théorique ou pratique
DISSONANCES
RESEAUINSTITUTION
ASETéléologique : Refus d’un séjour de rupture – pas de place sur un autre service
MagistratDéontologique : Rigidité de la mesure ordonnée par le magistrat qui ne correspond pas
Représentants légauxAxiologique : incompréhension des motifs du placement
JeuneDéontologique : refus des règlements internes
Education NationaleEpistémique : incompréhension de l’intervention du service

* les termes cindyniques « productivisme » et « formation cindynique » sont remplacés par « intervention » et « formation » Naturellement, ces exemples manquent de profondeur et ne représentent pas une réalité précise et bien plus complexe. Ils laissent simplement d’entrevoir les potentialités de l’approche cindynique dans la compréhension des phénomènes de danger en vue d’apporter des actions correctives