6.4  Entre besoins et droits

D’après la démarche de consensus, « les trois concepts d’intérêt de l’enfant, ses besoins fondamentaux, et ses droits sont interdépendants ». Besoins, intérêt et droits se retrouvent dans l’article L.112-4 du CASF qui stipule : «l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant [1]».

Aussi, l’articulation des besoins et des droits est interrogée, voire percutée. En effet, pour Urban Jonsson, « si les politiques publiques doivent protéger les enfants, ce n’est pas parce qu’ils ont des besoins mais parce qu’ils ont des droits, ces droits étant posés comme universels et inaliénables [2]». Par conséquent, cela implique le droit d’être protégé. Ce n’est pas forcément incompatible puisque le juge des enfants reste l’acteur principal pour activer ce droit, et les professionnels de l’intervention doivent, eux, répondre aux besoins.

Alors que la loi de 2007 affirmait le maintien des liens avec les parents, celle de 2016 priorise les besoins fondamentaux de l’enfant, sans pour autant les opposer, et ce, en conformité avec l’article 9 de la Convention Relative aux Droits de l’Enfant qui prescrit que « les Etats parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (…) ». L’article 3 de la même convention entend que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». Ici l’intérêt s’affuble de l’adjectif supérieur. « L’intérêt » bien que concept mou, est aussi bien codifié dans la CIDE, que relayé par les lois nationales.

Déjà, Michelle Gobert écrivait en 1971, « que l’on devait se référer à l’intérêt de l’enfant avec prudence, tant cette notion, parfaitement fuyante est propre à favoriser l’arbitraire judicaire[3] ».  Pour P.Verdier et C. Daadouch, « l’intérêt est une notion subjective et floue. Ce peut être l’alibi de toutes les décisions. Le droit, au contraire, est une notion forte [4] ». Pourtant l’intérêt est bien inscrit dans le droit, par la loi qui met en évidence, non plus un seul impératif, celui de l’intérêt de l’enfant, mais deux autres qui permettent un rééquilibrage par la prise en compte des besoins fondamentaux et du respect des droits.

Ces notions ne sont pas de simples abstractions, elles renvoient obligatoirement aux fondements même de l’organisation et du schéma de la protection de l’enfant, établis sur un modèle précis, structuré, relativement hermétique. Le parcours de l’enfant placé, déplacé est au cœur des préoccupations du législateur et du professionnel. Il n’en demeure que le mineur, dans son intérêt, a le droit et le besoin d’être protégé des risques qu’il encoure.

Récemment, une volonté de ne plus faire abstraction de la notion de risque s’entrevoit dans quelques référentiels présentés par la Haute Autorité de Santé. En ce qui concerne la PDE, elle fixe « un cadre national de référence pour l’évaluation globale de la situation des enfants en danger ou en risque de danger ». Dans le préambule de trente-sept pages, plusieurs notions sont retenues dont notamment la maltraitance, notion développée sur cinq pages ; les besoins fondamentaux définis sur sept pages ; les notions de risque et de danger ne représentent quant à elles, qu’une dizaine de lignes alors qu’elle en est le titre principal du document. Les termes « danger » et « risque de danger » ne sont pas définis mais sont justifiés « lorsque la santé et le développement de l’enfant/adolescent sont compromis ou risquent d’être compromis sans la mise en place d’une intervention[5] » se référant ainsi à l’article 375 du code civil.  La recommandation fait état de la « notion de danger grave et immédiat » qui nécessite une action immédiate et renvoie au caractère vital et aux risques de séquelles telles que « les maltraitances physiques, sexuelles, les privations graves et/ou répétées, et/ou la vulnérabilité particulière de l’enfant/adolescent ; de la suspicion d’une infraction commise à l’encontre de l’enfant/adolescent ; de l’exposition de l’enfant/adolescent à l’auteur présumé ; d’une mise en situation de danger par l’enfant/adolescent lui-même ». La notion de danger s’entrevoit une nouvelle fois par le prisme de la maltraitance, avec une nouveauté toutefois, celle de la vulnérabilité. La globalité de la notion de danger n’est pas traitée et se restreint au seul facteur de gravité. Le « guide d’accompagnement à l’évaluation » qui complète ces travaux réitère de « qualifier le danger au regard de la satisfaction des besoins fondamentaux et des conséquences développementales pour l’enfant/adolescent »[6]. C’est donc l’analyse de la réponse ou de la non réponse aux besoins fondamentaux qui qualifie le danger. Autrement dit, toute insatisfaction d’un besoin soulève un danger. La corrélation de cause à effet du besoin sur un danger ne semble pas opportune si elle n’est pas accompagnée d’une mesure du risque. Il ne s’agit donc plus seulement de qualifier mais aussi de quantifier la réponse aux besoins de l’enfant. Nous entrons alors dans un exercice complexe, celui de déterminer des degrés acceptables ou inacceptables de la réponse éducative, voire pire, celui d’édifier une idéologie éducative. Si la porte d’entrée reste bel et bien les besoins de l’enfant, la réponse dépend soit des parents, soit des institutions, chacune devra l’une comme l’autre être interrogée. Nous revenons à la nécessité soulevée précédemment d’un référentiel des capacités parentales et toute logiquement des capacités professionnelles à répondre aux besoins de l’enfant. En définitive, le seul consensus des besoins fondamentaux n’apporte pas qu’une réponse partielle. 

Plus proche de nous, en 2021 la Haute Autorité de Santé publie le « référentiel d’évaluation de la qualité des ESSMS » d’une quinzaine de pages. Alors que le paradigme des « besoins » submerge le secteur social et médico-social, le terme n’est employé qu’une dizaine de fois, tandis que le terme « risque » au singulier comme au pluriel est utilisé quarante-deux fois. Cette préoccupation du risque est révélatrice des enjeux spécifiques de l’accompagnement des publics dans nos secteurs et occasionne des critères aujourd’hui de qualité. Les ESSMS sont sommés de définir une démarche de gestion des risques pouvant toucher les personnes accompagnées ainsi que les professionnels. Risques de harcèlement, d’addiction, de fugue, de radicalisation, de maltraitance sont quelques exemples piochés dans le référentiel. Ici, le risque est bien qualifié sans passer par la case des besoins. Notons que le terme « danger » n’est quant à lui jamais appliqué.


[1] Article L.112-4 du Code de l’action sociale et des familles

[2] Bolter Flora , Keravel Elsa, Oui Anne  et al. Les besoins fondamentaux de l’enfant. Op.cit,p.109

[3] Gobert Michelle, professeur émérite Université Panthéon-Assas. Le droit de la famille dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Colloque Cour de Cassation, 2006 https://www.courdecassation.fr/venements_23/colloques_4/2006_55/intervention_mme_gobert_9948.html

[4] Verdier Pierre, Daadouch Christophe. De la protection de l’enfance, à la protection de l’enfant. Berger Levrault, 2018, p. 29

[5] HAS : Le cadre national de référence : évaluation globale de la  situation des enfants en danger ou risque de danger (préambule), janvier 2021, p.16

[6] HAS : Le cadre national de référence : évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risqué de danger (livret 3 : guide d’accompagnement à l’évaluation, 12 janvier 2021, p.92