SECTION 3 : L’APPROCHE CINDYNIQUES

  1. L’enquête

1.1 La science du danger

Les recherches sont venues appuyer l’intuition initiale quant à l’appréhension de cette notion de danger par les acteurs de la protection de l’enfant qui, selon moi, mérite une attention toute particulière. Alors que j’abordais rapidement en introduction les notes d’incidents en ma possession pour en faire un état rapide, quant au nombre et aux motifs, je me suis aperçu, en relecture, qu’au-delà de ces aspects, leur contenu était bien plus riche d’enseignements. Sans généraliser, les circonstances de ces situations de crise, de clash, peuvent apporter des éléments de compréhension, au-delà de la simple entrée par la causalité au sens psychologique ou sociologique du terme, pour ne citer que ces deux disciplines. L’éducatif semble effectivement démuni face à ces situations, et dans l’impossibilité de s’approprier un regard pointu qui lui appartiendrait. L’origine des situations à risque, ne peut-elle pas aussi s’expliquer au sens éducatif du terme, c’est-à-dire dans la relation, l’interaction, l’organisation, la communication, bref à partir des modalités de l’intervention éducative ? Ou de manière plus synthétique, ne peut-on pas penser le danger, dans tout ce qui fait institution voire au-delà de l’institution, dans ce qui fait système ? Une sorte de zoom grossissant focalisé sur les causes mais aussi les circonstances, les phénomènes, qui éclairent ces risques, produisent ces dangers, qui parfois même, participent aux ruptures. Et pourquoi ne pas pousser l’audace encore plus loin, en tentant de détecter ce qui fait rupture, le point de rupture ?

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4.4  Du parcours à l’exclusion 

Alors que politiques publiques ainsi que les acteurs sont unanimes sur les conséquences désastreuses des ruptures de parcours, Roland Coenen y voit dans le processus d’exclusion, une forme de maltraitance. Pour lui, le contrat initial qui repose sur la demande d’aide est voué à l’échec car « la fermeture, la difficulté à évoluer, n’est pas le signe d’une mauvaise volonté de l’adolescent, mais d’une immaturité des processus mentaux qui soutiennent l’accès à la demande relationnelle, à la demande d’échange (relation réciproque)[1]». Ainsi, il se décentre d’une tentative de compréhension psychique de ces conduites et renvoie l’accompagnement éducatif dans ses travers : « le but de l’aide, en somme, c’est de prendre en charge l’évolution et la maturation de ces processus mentaux, sans que le sujet n’ait à le demander [2]». Il nomme cette solution thérapeutique, le « non-renvoi », qui tente d’établir les bases préalables à toute relation d’aide : la sécurité, sous-entendu, relationnelle.

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4.3  Les ruptures de parcours

Les professionnels et chercheurs ne sont forcément en accord sur les ruptures de parcours, et encore moins sur leurs conséquences. Néanmoins, au sein de la PDE, même si la notion de parcours reste floue, celle de la rupture devrait pouvoir rassembler les acteurs. Or, ce n’est pas toujours le cas. D’abord, parce que la rupture peut trouver son origine aussi bien dans les actes et intentions de la personne, que dans la capacité des dispositifs, des cadres réglementaires faisant défaut, pour proposer des réponses dans la continuité. Autrement dit, la formule de parcours dans le secteur qui nous intéresse met en articulation les parcours institutionnels et les parcours personnels.

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4.2  Entre contingence et déterminisme

La sociologie s’est particulièrement penchée sur la question des ruptures et de leur imprévisibilité en tenant compte des différents niveaux de temporalité. Dans l’analyse des données empiriques, les sociologues qualifient ces situations de ruptures importantes, de moments de redéfinition, de tournants, de bifurcations, etc. Pierre Bourdieu critiquait ouvertement les approches biographiques utilisées notamment en France par Daniel Bertaux dans les années 70-80, œuvrant à les légitimer avec toutes les controverses méthodologiques. Il condamne la surcote de l’intégrité du sujet au détriment des structures collectives, laissées dans l’ombre : « essayer de comprendre une vie comme une série unique et à soi suffisante d’évènements successifs sans autre lien que l’association à un sujet dont la constance n’est sans doute que celle d’un nom propre, est à peu près aussi absurde que d’essayer de rendre raison d’un trajet dans le métro sans prendre en compte la structure du réseau, c’est-à-dire la matrice des relations objectives entre les différentes stations[1] ». Comment traduire ou utiliser les évènements de ces récits, « qui ne sont autant de placements que de déplacements dans un espace social, critique Bourdieu sur les histoires ou récits de vie [2]».

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4.     DU PARCOURS A LA RUPTURE

4.1  Un parcours sous contrainte

Le parcours peut se concevoir comme une opposition à la logique de places et placement propre au modèle la protection de l’enfant. Alors que le placement semble figé, la notion de parcours repose sur une dynamique, une trajectoire qui vise à la rendre cohérente et sécurisante pour le mineur. De la place qui lui est réservée au sein de sa famille et/ou en institution, le parcours aborde l’aspect mobile de cette place voulant intégrer les impondérables, l’aléatoire de la vie considérée « comme un savant mélange de probabilités et d’improbabilités, de préméditations, d’improvisations et d’adaptations, voire de rencontres fortuites ou de coïncidences, à chacun de savoir s’en saisir »[1].  Cette vision de J.R Loubat nous amène à devoir débattre sur la question du parcours.

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3.2 Les freins à l’innovation

En toute logique, ces recherches ont mené à explorer le champ de l’innovation. Le chemin a été relativement chaotique, aussi cette partie restera volontairement succincte. J’ai contacté un « refuge pour incasable », structure expérimentale née en 2010. S’appuyant sur le courant de pensée de Palo Alto, l’intervention repose sur « les bases d’une approche systémique et interactionniste des phénomènes humains [1]». Cette volonté de privilégier l’interaction avec les jeunes plutôt que de rechercher les causes à leurs problèmes, n’a pas tenu ses promesses. L’échange téléphonique avec la direction de cet établissement met en avant une transformation de la pédagogie « Altovienne » par les professionnels. En effet, les changements de personnel ont conduit à une perte de sens commun de cette méthode. Chacun s’étant approprié à sa manière, les valeurs, les règles qui en découlent, leur application s’est vue contrariée et diluée.

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3.1  Les parcours à l’épreuve du territoire

La protection de l’enfant est placée sous la responsabilité du Président du Conseil Départemental et se confronte ainsi à la question de la structuration de l’offre de services sur chacun des territoires. A ce propos, dans son rapport annuel le défenseur affirme que « si la protection de l’enfance est une compétence décentralisée à l’échelon départemental, il n’en demeure pas moins qu’elle doit rester une préoccupation essentielle de l’Etat qui doit donner son impulsion et les moyens nécessaires à sa mise en œuvre sur l’ensemble du territoire[1] ».

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3.     Le PPE pour coordonner le parcours

Loin d’être évincée dans la loi de 2007, la place de l’enfant s’avère centrale, comme en témoigne la mise en place du PPE « qui précise les actions qui seront menées auprès de l’enfant, des parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de leur mise en œuvre. Il mentionne l’institution et la personne chargées d’assurer la cohérence et la continuité des interventions… [1] ». A cette époque, il était seulement question, non pas de parcours, mais de continuité des interventions.

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2.2  Les limites de la coordination

Du sanitaire au médico-social, la définition, la notion, voire l’approche du parcours, celui de la santé, du soin, ou encore de vie ; celui de la personne, de la personne dépendante ou en situation de handicap apparait comme une nouvelle terminologie rendant possible de décrire les pratiques actuelles à l’égard des différents publics. L’ARS a établi un « lexique de A à Z[1] » dont quelques définitions suivantes sont issues :

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2.     L’EMERGENCE DE LA NOTION DE PARCOURS

2.1  Le parcours une notion protéiforme

Toute récente au sein de la PDE, la notion de parcours s’affiche aussi succinctement. Aussi, il semble important de faire un tour d’horizon des politiques publiques qui se sont appropriées cette notion.

C’est avec la loi n° 2004-810 au 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, qu’apparaît la notion de « parcours de soins coordonnés » visant une maîtrise des dépenses de santé notamment par la mise en place du médecin traitant. Le patient est donc soit dans le parcours de soins, soit en dehors du parcours, la frontière délimite l’incidence financière pour le bénéficiaire. Mais cette notion se lit en creux puisqu’elle n’apparait pas dans les textes de loi, contrastant avec la redondance du terme « coordination » qui apparait lui, treize fois. La notion est inscrite cinq ans plus tard, en 2009, dans le décret n° 2009-152 précisant l’éventualité du non remboursement « en cas de non-respect du parcours de soin [1]». Le parcours est donc né pour astreindre les patients à respecter les modalités de consultation, en priorité du médecin traitant, avec pour objectif la rationalisation des coûts. Le parcours, dans ce cas de figure, est borné tel un chemin à suivre, et devient une contrainte.

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SECTION 2 : LE PARCOURS DES «INCASABLES

  1. Le nouveau paradigme du parcours au sein la protection de l’enfance

1.1 Stabilité ou parcours ?

Le terme « parcours » est employé dans de nombreux domaines, tel que le parcours professionnel, le parcours scolaire, le parcours de vie, ou fait état d’expressions populaires tels que le parcours du combattant ou plus négativement l’accident de parcours. Il prend sa source du latin « percursus : action de parcourir ». En France, cette action désigne d’abord un droit féodal en 1268, par la « convention entre seigneurs voisins en vertu de laquelle les vassaux libres pouvaient passer d’une seigneurie à une autre sans perdre leur franchise » ; puis des droits ruraux, celui « réciproque de deux ou plusieurs communautés voisines d’envoyer paitre leur bétail sur les territoires respectifs en temps de vaine pâture [1]». Les plus critiques d’entre nous pourraient faire le rapprochement dans ce cas de figure d’une seigneurie à une autre par : d’une institution à une autre, en ce qui concerne les « situations d’incasabilité ».

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6.5 Vers une épistémologie du risque

Paradoxalement, alors que la question de l’appréhension du danger reste problématique, la notion de « besoin » s’affirme dans les nouvelles politiques sociales. Nous pouvons y voir une tentative de dépasser ce problème qui semble insoluble. De plus, pour pallier les précédents manquements de référentiel commun sur la notion de danger, un consensus est établi par des experts sur cette nouvelle notion. Dans ce déroulé, nous pouvons également constater, qu’à chaque tentative de compréhension des conduites des jeunes « en situation d’incasabilité », le doigt pointe sans exception soit sur le jeune, soit sur l’institution, soit sur la société. En somme, il est question soit de comportement, soit de règles et compétences, soit de valeurs mais aucunement question du traitement de la notion même de risque et de danger qui n’arrive toujours pas à son essor dans le secteur social et médico-social.

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6.4  Entre besoins et droits

D’après la démarche de consensus, « les trois concepts d’intérêt de l’enfant, ses besoins fondamentaux, et ses droits sont interdépendants ». Besoins, intérêt et droits se retrouvent dans l’article L.112-4 du CASF qui stipule : «l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant [1]».

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6.3  Les besoins spécifiques en protection de l’enfance

Effectivement, ce consensus précise que les « défaillances de la réponse à leurs besoins, la sémiologie clinique exprimée, comme troubles susceptibles d’être générés par la rupture, la séparation et le placement conduisent à l’expression de besoins spécifiques, auxquels devront répondre les modes de suppléances [1]». A charge donc aux acteurs de la PDE d’apporter, dans le cadre notamment de la suppléance, des réponses adéquates à ces besoins, dont le méta-besoin de sécurité, et de s’attacher plus précisément à la stabilité de l’accompagnement et la continuité du parcours :

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6.2  De multiples classifications des besoins

Les nomenclatures des besoins sont nombreuses, partant de celle de Maslow[1] (théorie de motivation 1970) arborant une classification hiérarchisée et déterminant par ordre de priorité les besoins : physiologiques – de sécurité- d’appartenance- d’estime- de s’accomplir. Cette conception pyramidale des besoins laisse entendre que la satisfaction des besoins physiologiques doit précéder toute tentative de satisfaire le besoin de sécurité (protection), lequel doit être satisfait avant les besoins d’appartenance…etc. La symbolique de la pyramide repose sur la fondation d’une base solide pour atteindre les autres besoins.

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