3.5  Crises : les circonstances

Isabelle dit qu’ « Honnêtement, je ne sais pas. C’est fou, vous savez, des fois le cerveau fait stop et il y a des choses, des événements importants dont on ne se souvient plus du tout. […] quand c’était comme ça, je cassais tout, j’étais une furie. A ce moment-là, je me souviens des sentiments que j’avais quand je pouvais rentrer en crise. Je ne ressentais plus rien, ni colère, ni haine, ni amour, ni rien du tout. J’étais vraiment une coquille vide. Mais, par contre, la violence, je me déchainais. […] dans ces moments-là, j’étais quelqu’un qui provoquait tout le temps, tout le temps, tout le temps ! C’est sûr qu’il ne fallait pas me répondre dans la provocation non plus !».

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3.4  Conduites à risque : les phénomènes

Isabelle reconnait que « Oui. Pas mal de fois où je me suis mise en danger. Je pense que j’ai eu une bonne étoile parce des fois, dans des lieux… mais même par rapport à la prise de drogue ; c’est vrai qu’ado, j’allais souvent dans les « raves party », et qui dit « rave party », dit drogue».  Elle indique avoir « commis des délits mais je n’ai jamais été inquiétée par la police. […]. Violences verbales, envers ma maman. Violences physiques, non. Je n’ai jamais levé la main sur elle. J’avais toujours eu cette limite-là. […] Il faut savoir aussi que, pendant un an, tous les jours et sans relâche, je taxais à ma mère, et tous les jours 10 euros pour fumer du shit. Si elle refusait, c’était de la violence. […]. Violences physiques à coté, oui. Que ce soit dans la rue ou quoi que ce soit…, je cherchais un peu la petite bête, j’aimais bien me mesurer, quoi ! ».

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3.3  Le séjour d’éloignement : les motifs

Isabelle explique qu’elle « vécu sans père et, du coup, moi, j’étais en rébellion totale comme toute forme d’autorité, mais alors, vraiment beaucoup, quoi ! Je ne supportais pas l’autorité, que ce soit l’autorité parentale, l’autorité des professeurs, n’importe laquelle quoi ! Et du coup, je suis partie un peu en cacahouète, comme on dit ». Cette opposition « se traduisait par des crises, de la violence, par des fugues, par tout ce qu’un ado peut faire ». Elle précise que, suite à une fausse couche, « j’ai vu le fœtus, quoi, à trois mois et demi, c’est déjà formé. Suite à ça, j’ai pété un plomb. J’ai été le soir même à l’hôpital. […]  J’ai rencontré une psychiatre pour adultes qui était très bien. J’ai été deux semaines en pédopsychiatrie ». « Elle a demandé à ce que j’ai un éducateur et s’il n’y avait pas des séjours de rupture qui pouvaient se faire. Moi, j’étais complètement dans l’opposition. Pour moi, elle voulait juste se débarrasser de moi, donc, jusqu’au dernier moment, c’était non, non, non ! »

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3.     ANALYSE DES ENTRETIENS AVEC DES JEUNES ADULTES

3.1  Présentation de la méthode

Nous avons vu que les séjours de rupture ou de mise au vert sont sollicités par une grande majorité des services dans la prévention et gestion des risques propres aux jeunes « en situation d’incasabilité ». Il semble alors essentiel de recueillir la parole des personnes qui ont vécu ces séjours de rupture. Dans quelle mesure la solution d’éloignement a-t-elle pu contribuer ou non à la réduction des risques de danger ? A cet effet, cinq entretiens téléphoniques ont été menés auprès de jeunes adultes ayant participés à un ou plusieurs séjours de rupture. Ces « rencontres » ont pu se faire via une association particulièrement active dans ce type d’accompagnement. L’examen consiste à rechercher ce que les entretiens nous apprennent pour « reconstituer ce monde collectif dont chacun des acteurs n’a qu’un petit bout, bien qu’il participe à la construction collective[1]» dans l’esprit de ne pas altérer ou déformer la parole des personnes. A la limite de l’approche des récits de vie, les entretiens n’ont pas pour autant vocation à être libres, mais plutôt semi-directifs[2]. En toile de fond, un souci d’étayer cette étude par un retour d’expérience. L’entretien est piloté successivement par les thématiques suivantes :

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2.12   Situation d’incasabilité : retour à « la case » départ

Il est possible d’entrevoir une dichotomie entre les facteurs qui relèvent de l’adolescent et de ceux spécifiques aux institutions. Nous retrouvons ce raisonnement dans les justifications énoncées ci-après. Pour les professionnels, l’adolescent en « situation d’incasabilité » est :

  • Celui pour qui la protection physique, psychique et morale ne peut être assurée
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    2.10  Gestion des risques : les réponses

    D’autres leviers sont utilisés comme réponses à la gestion des risques. Ils sont d’abord en direction des jeunes par la mise en place de séjours de rupture (69.5%) ; de séjours de mise au vert (59.3%). En direction des professionnels, la formation interne/externe est privilégiée, alors que les RBPP peinent à s’instaurer.

    Question : Dans la prévention et la gestion des risques propres aux jeunes « en situation d’incasabilité », votre service utilise :

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    2.8 Gestion des risques : l’absence d’instances de prévention

    Question : Après le passage à l’acte de l’adolescent provoquant une fin de prise en charge, vous diriez que l’incident était plutôt :

    Alors qu’une unanimité se dégage sur la prévisibilité de l’incident et sur l’aspect répétitif engendrant la gravité, paradoxalement les services ne semblent pas détenir d’espaces consacrés à la gestion des risques pour les situations complexes.

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    2.6  Gravité et répétition indissociables 

    Plus de la moitié des professionnels (52.5%), estime que la fin de la prise en charge est imputable à une répétition des actes qui engendre la gravité. Le phénomène de répétition semble dégager un consensus auprès de l’ensemble des professionnels, aggravant la situation à risque. Pourtant, deux fonctions se distinguent, celle des directions, et celle des chefs de service du secteur associatif.  Pour 67% des premiers, la gravité suffit à causer une fin de prise en charge, pour les seconds, 43% estiment que la répétition en est la cause.

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    2.4 Autre cible : les normes

    L’atteinte du jeune sur sa propre personne reste relativement peu abordée pour définir les troubles psychiques dont il souffre. Les tentatives de suicide, les actes d’automutilation ou d’isolement ne sont que guère cités. En revanche, un large consensus (90%) s’établit autour des troubles psychiques perçus comme de l’inadaptation sociale. Nous pouvons interroger cette notion relativement floue qui fait pourtant consensus, même auprès des psychologues (80% d’entre eux). Les répondants ne se sont pas saisis de la possibilité de compléter ces réponses par d’autres traductions des troubles psychiques.

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    2.3  Cible principale du danger : le professionnel

    La violence sous ses différentes formes concerne en tout premier ressort les professionnels. Ils sont majoritairement la cible des violences verbales (52.5%). Les actes délictueux hors violence, le sont, eux, principalement envers des tiers, ce qui peut expliquer que ces délits ne sont que rarement un motif de rupture. En revanche, professionnels comme pairs sont des cibles à parts égales lorsqu’il s’agit de violences physiques (39%). Or, nous l’avons vu, le motif principal de rupture pour violence physique envers ses pairs n’est pointé que très rarement (3.4%). Nous pouvons donc observer que, dès lors, que ces violences touchent les professionnels, elles peuvent entrainer, beaucoup plus facilement, une rupture de l’accompagnement (33.9%). Ainsi, pour une même nature de danger, c’est la cible visée qui détermine la réponse « institutionnelle ».

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    2.               ANALYSE DES QUESTIONNAIRES PROFESSIONNELS

    Le questionnaire a été communiqué à l’ensemble des directions d’associations de la protection de l’enfance et aux directions territoriales du département de la Drôme, pour transmission à leurs équipes. Mis en ligne le 24 avril 2019 pour une durée de 37 jours, sa fermeture a lieu le 30 juin 2019. Sous le titre « Enquête sur les adolescents en situation d’incasabilité », 59 professionnels ont participé à ce sondage, dont la répartition par fonction est la suivante :

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    1.3  Les bases de la science du danger

    C’est peut être l’une des lacunes des cindyniques pour qu’elle soit opérationnelle dans nos secteurs, l’absence d’une base consistante pour penser le phénomène. Le philosophe Edmund Husserl initie justement la phénoménologie comme courant de pensée avec une ambition affichée, faire de la philosophie une science. En rupture avec le psychologisme, en opposition à la métaphysique, il va faire de la phénoménologie une démarche d’appréhension de la réalité telle qu’elle se donne à nous, à travers les phénomènes. 

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    1.2  Les contours de l’approche cindynique

    Devant la complexité des situations dangereuses ou à risques, une toute jeune discipline, les cindyniques, trouve son origine à la Sorbonne dans les années 1980. Etymologiquement, le terme « cindynique » est issu du mot grec Kindunos qui signifie le danger. Le mot est introduit en 1987 dans le dictionnaire Larousse. Initialement centrée sur l’étude des risques naturels et technologiques, cette science trouve désormais d’autres terrains d’applications. Le potentiel de développement des cindyniques amènent donc Georges-Yves Kerven qui en est l’inventeur, à élargir la définition à une « science visant à rendre intelligibles et donc prévisibles, les dangers, les risques qui en découlent, endogènes et exogènes au sein d’un système et de permettre de les réduire[1] ».

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